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couronnent toujours les sommets ombreux et fleuris de la montagne. Toujours un caroubier séculaire, souvent un petit bois de chênes ou de lauriers, derniers descendans de l’ancien bois sacré, abritent les dieux nouveaux. À la dédicace de la chapelle, on reconnaît sans peine le dieu antique dépossédé ; l’inscription du temple forme d’ordinaire le linteau de la porte actuelle, l’autel est le bomos cananéen avec son inscription, les cippes et des débris de sculptures figurent souvent sur l’autel. Tout au plus les globes ailés flanqués d’uræus sont-ils quelquefois martelés. Il n’y a pas jusqu’au dieu des bons prêtres maronites, lesquels n’admettent pas que le Liban ait jamais connu l’idolâtrie, — qui ne soit toujours ce très-haut dont le nom se lit à chaque pas en ce pays. Aux jours antiques, ce très-haut était El comme à Babylone, c’était l’Élioun d’Arka, Adonis ou Tammouz, divinité solaire, le dieu mari de sa mère, qui meurt et ressuscite chaque année sous les baisers des femmes. M. Renan croit pouvoir distinguer entre Adonis et Tammouz ; il lui répugne visiblement d’admettre qu’on ait célébré le Très-Haut par des orgies qui paraissent aujourd’hui monstrueuses ; mais c’est le cas de ne point juger les vieilles religions de l’humanité avec nos raffinemens de moralistes modernes. D’ailleurs les dernières découvertes dans le domaine de l’assyriologie ne permettent plus de douter que Tammouz, qui donna son nom à un des mois du calendrier commun aux Assyro-Babyloniens, aux Syriens et aux Juifs, ne soit le nom accadien ou protochaldéen d’Adonis. La signification primitive de son nom est : « fils de la vie ; » en Chaldée comme en Syrie, il était l’époux d’Astarté.

Les monumens du culte d’Adonis qui se retrouvent encore dans la vallée du fleuve Adonis sont tous de très basse époque. Bien que l’opinion commune plaçât à Byblos le tombeau du dieu, il existait certainement nombre de cénotaphes d’Adonis dans le pays, analogues aux saints-sépulcres artificiels des villes catholiques du moyen âge. Les sculptures de Maschnaka et de Ghineh nous le montrent vêtu de la tunique courte des chasseurs de la montagne, une lance à la main, suivi de ses chiens, aux prises avec une bête sauvage, un ours du Liban, qui le doit blesser mortellement ; en face, une femme couverte de longs voiles est assise dans l’attitude de la douleur, et des larmes semblent couler de ses yeux. Voilà ce qu’était devenu, à l’époque romaine, le mythe d’Adonis et de la grande déesse de Byblos. Aujourd’hui les populations de cette partie du Liban désignent par le nom du roi Berdis ou Berjis le héros des sculptures de Ghineh ; la femme assise serait la reine-épouse de Berdis : nul doute qu’on ait ici le nom arabe d’une divinité planétaire. Près de Ghineh sont des ruines du nom significatif de Cabaal ; non loin, des