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cette circonstance peut même servir de critérium à l’antiquaire. Les Cananéens et les Hébreux n’ont beaucoup écrit que sur les pierres précieuses. La Bible ne mentionne pas une seule inscription, et, n’était les stèles de Méscha et de Yehawmelek, on eût pu douter que l’épigraphie fût dans l’usage de ces peuples. L’inscription et le sarcophage d’Eschmounazar demeuraient à bon droit une exception ; en tout cas, le tour gauche, pénible, fastidieux de ce texte témoignait assez que les Sidoniens n’avaient point l’habitude d’écrire sur la pierre. Les inscriptions lapidaires en Phénicie ne datent presque toutes que de l’époque romaine. De toute antiquité, les Sémites de Canaan ont écrit sur des plaques de métal ; ainsi le fameux traité conclu entre le prince syrien de Khêta et Ramsès II avait été gravé sur une lame d’argent. Aux époques phénicienne et persane, ce fut aussi sur des plaques de métal qu’on grava les traités publics, les tabularia ou recueils d’archives, les lois religieuses, les rituels, les enseignemens sacrés et les tarifs des temples[1]. Les cadres où étaient placées les inscriptions et les traces des moyens employés pour les fixer se voient encore, par exemple sur les jambages des portes des temples. Or c’est un axiome en archéologie que les inscriptions sur métal, toutes choses égales, ont infiniment moins de chance de durée que les autres. La matière sur laquelle elles sont gravées explique assez qu’on les recherche pour les fondre. La Phénicie était le dernier pays du monde qui pût faire exception à cette loi.

Si l’âme des vieilles populations de Canaan est encore présente sur la terre, c’est dans les menus objets d’art, c’est surtout dans les gigantesques travaux d’exploitation industrielle et agricole qu’on rencontre de Ruad à Tyr, sur toute la côte. Par un sentiment très élevé de sa mission, M. Renan s’est surtout attaché à explorer les sites et les localités historiques qui pouvaient livrer quelques débris de l’antique civilisation phénicienne ; il a pensé avec raison que la recherche des petits objets, à laquelle suffit l’industrie privée, ne saurait être le but des grandes fouilles régulièrement entreprises par un état. Un nombre considérable de ces petits objets antiques, aujourd’hui au Louvre, est pourtant sorti de la nécropole de Sidon, lors de la seconde campagne de fouilles dirigées par M. le docteur Gaillardot, le plus infatigable, le plus dévoué des collaborateurs de la mission. Celles de ces œuvres d’art qui sont antérieures à l’influence grecque peuvent paraître lourdes et d’un goût contestable ; elles sont d’ailleurs presque toujours imitées de l’Égypte. Et cependant on se souvient avec reconnaissance que, du moins pour notre Occident, toute culture industrielle a pour ancêtres les

  1. Cf. I Makh VIII, 22 ; XIV, 18, 26, 48-49,