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plus élevés, où la neige dure jusqu’au mois de juin et où ne poussent que des buissons rampans, tantôt parmi des rochers à pic presque inaccessibles, dans des grottes où, comme celle d’Ayyoub, on ne parvient qu’en s’aidant des arbustes suspendus au-dessus du fleuve Adonis ? Faut-il y voir un règlement affiché en quelque sorte dans cette région du Liban, couverte d’arbres à l’époque romaine, et par lequel on faisait la distinction des essences réservées à l’état et de celles abandonnées aux coupes des particuliers ? Un texte de Végèce dit expressément que quatre essences sont propres à construire les navires : le cyprès, le pin, le mélèze et le sapin ; voilà les arborum IV genera qui étaient réservés pour la flotte romaine.

Toute la vallée du fleuve Adonis (Nahr-lbrahim), avec ses monumens du culte antique des adonies, est peut-être le coin du monde où la poésie de la nature s’unit de la façon la plus extraordinaire à la poésie de la religion et du passé. Point de terre sainte plus romantique que cette vallée, « si bien faite pour pleurer. » Maschnaka, où se trouvait un des tombeaux d’Adonis, est environnée de montagnes aux contours étranges, dominées à l’horizon par les sommets neigeux d’Aphaca. De l’autre côté du fleuve, au monument de Ghineb, dont les sculptures rappellent le drame divin de la mort d’Adonis et des pleurs de Vénus, on a devant soi le Djebel-Mousa, « hérissé de forêts et encore peuplé de bêtes fauves. » Le plus célèbre des sanctuaires de la déesse de Byblos, celui d’Aphaca, aujourd’hui Afka, est à la source même du fleuve, qui sort d’un vaste cirque de rochers et se précipite, de cascades en cascades, parmi des noyers gigantesques, à d’effrayantes profondeurs. « L’enivrante et bizarre nature qui se déploie à ces hauteurs, dit M. Renan, explique que l’homme, dans ce monde fantastique, ait donné cours à tous ses rêves. »

A quelques heures de Beyrouth et de sa forêt de pins, d’où la ville, ce semble, tire son nom, on arrive devant une ville moderne construite de débris antiques : c’est Sidon, aujourd’hui Saïda, « Le premier-né » de Canaan. Comme toutes les anciennes cités de la Phénicie, — Tyr, Byblos, Botrys, Acre, Jaffa, — elle se présente de loin en promontoire. Les ports phéniciens étaient de préférence situés sur des caps. « Il semble qu’on recherchait plutôt des reconnaissances susceptibles d’être vues de loin que de vrais abris. La navigation d’alors consistait à voguer de cap en cap ; le soir, on tirait la barque sur la grève. La Phénicie n’a vraiment qu’un seul mouillage, qui est Ruad. Ce que les Phéniciens recherchaient dans leurs ports, c’était le voisinage d’une île, ainsi qu’on le voit à Aradus, à Tripoli, à Sidon, à Tyr, et jusqu’à un certain point à Byblos. » N’était sa nécropole et ses jardins, mine inépuisable de petits objets antiques, Sidon ne présenterait presque