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pour la science qui est au fond de tout musulman, ils menaçaient, après notre départ, des avanies les plus graves quiconque favoriserait en quoi que ce soit notre dessein. Un ouvrier dont nous eûmes besoin nous avoua qu’il nous servirait volontiers, mais il demandait qu’on lui donnât quelques coups devant la foule pour bien constater qu’il ne nous obéissait que par nécessité. »

Les marins de Ruad sont en possession de tout le cabotage des côtes voisines ; celles-ci, couvertes d’un vaste amas de ruines sur une ligne continue de 3 ou 4 lieues, sont désertes et malsaines : là, pressées et nombreuses, étaient ces filles d’Arvad, Paltus, Balanée, Carné, Enhydra, Marathus, Antaradus, où s’épanouissait tout ce qui eût été trop à l’étroit dans l’île. De ces villes, Antaradus et Marathus, aujourd’hui Tortose et Amrit, ont été déblayées par la mission et ont livré des monumens d’un haut intérêt pour l’histoire de l’art et de la civilisation arvadite. La plaine d’Amrit surtout offre l’aspect d’une profonde désolation. Sur ce sol dénudé où perce le rocher stérile, sur les bords solitaires du Nahr-Amrit et du Nahr-el-Kublé, où le brigand Ansarié dresse sa tente, dans ces marais pestilentiels où errent quelques troupeaux de buffles, les bourgeois opulens d’Aradus avaient leurs maisons des champs, leurs exploitations agricoles, leurs fabriques, leurs magasins et leurs caveaux funéraires.

Byblos et toute la région du Liban qui domine la côte semblent un autre monde. Le grand écrivain, dont le génie est fait de tristesse sereine et de profonde sympathie, s’est ici senti tout pénétré de l’esprit des vieilles religions de Syrie, il a chanté ces alpes riantes, fleuries et parfumées, pleines de grâce et de majesté, où se dressaient les « hauts-lieux » à l’ombre séculaire des cèdres, des pins et des cyprès, il a retrouvé sur la montagne et dans la vallée les saints sépulcres d’Adonis, il a vu le sang du dieu rougir encore les eaux du fleuve sacré, il s’est livré au démon antique des anciens cultes du Liban, aux émotions douces et tristes d’une mélancolie pénétrante, il a connu la volupté des larmes qui débordent du cœur aux heures d’enivrement mystique et de tendresse funèbre. « Le charme infini de la nature, dit M. Renan en parlant du Liban, y conduit sans cesse à la pensée de la mort, conçue non comme cruelle, mais comme une sorte d’attrait dangereux où l’on se laisse aller et où l’on s’endort. Les émotions religieuses y flottent ainsi entre la volupté, le sommeil et les larmes. Encore aujourd’hui les hymnes syriaques que j’ai entendu chanter en l’honneur de la Vierge sont une sorte de soupir larmoyant, un sanglot étrange. »

Si la nature est presque encore aujourd’hui ce qu’elle était au temps où cette contrée était une terre sainte, visitée chaque année par des pèlerins venus de tous les points de la terre, il n’en est pas ainsi de la Gebal antique, que des légendes appellent la ville la plus