Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/765

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils devinrent protestans fougueux, pour revenir un peu plus tard à la foi de leurs pères. Sous Louis XIII, ils abandonnèrent les armes pour la robe, et, comme ils ne faisaient rien à demi, ils se jetèrent dans l’étude de la jurisprudence avec une ardeur qui leur donna d’abord une grande renommée. Entrés de bonne heure au parlement de Bourgogne, ils surent y conserver une attitude fière au moment où tout ployait devant la royauté. On les tenait pour des sujets fidèles, mais en même temps « pour de courageux ennemis du gouvernement arbitraire, inaccessibles à la crainte que donne la peur et aux espérances que la faveur pouvait faire naître. » En apprenant le décès de Pierre de Brosses, en 1704, l’intendant de Bourgogne s’écria : « Il est mort aujourd’hui un grand républicain. » Les républicains n’étaient pas communs dans les parlemens de Louis XIV.

En prenant place au parlement de Bourgogne, les De Brosses étaient venus habiter Dijon. Cette ville est, on le sait, une de celles qui se sont le plus longtemps défendues de subir l’ascendant de Paris. C’est là que l’esprit provincial a le mieux résisté. Elle fut pendant trois siècles une sorte de capitale qui avait ses intérêts distincts et sa vie propre. Encore aujourd’hui, quand on la visite, on est frappé de lui trouver un aspect original, un air de dignité et de noblesse qui sent sa souveraine dépossédée. Elle le doit peut-être moins aux beaux monumens que lui ont laissés le moyen âge et la renaissance[1] qu’à ces grands hôtels du XVIIe et du XVIIIe siècle qui y sont si nombreux. L’architecture en est souvent assez ordinaire, ils n’ont rien qui excite une vive admiration, mais ils satisfont les yeux par leurs proportions heureuses, ils nous donnent l’idée d’une vie à la fois large et réglée, d’un luxe raisonnable, d’une magnificence sans forfanterie, et ils ont souvent grand air dans leur simplicité. Ils nous rendent surtout le service de nous conserver le souvenir d’une société disparue. C’est là que résidait cette noblesse parlementaire qui jouissait d’une réputation méritée dans tout le royaume, qui a fourni plus d’une fois des premiers présidens aux autres cours souveraines, qui a donné à l’état des ambassadeurs et des ministres ; c’est là qu’ont vécu les Brulart, les Legoux, les Berbisey, les Bouhier, tous ces magistrats grands seigneurs, dévoués au roi, mais fort attachés à leurs privilèges, fiers de leur passé, fidèles à leurs traditions. Ces nobles maisons qu’ils ont bâties et où ils ont laissé comme une empreinte de leurs goûts nous les remettent aisément devant les yeux : plaçons-y par l’imagination ces conseillers et ces présidens, qui étaient en même temps des gens d’esprit, qui se

  1. Ai-je besoin de rappeler les études si intéressantes que M. Montégut a consacrées dans la Revue aux monumens de Dijon ?