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et le poète, étant données quelques impressions, les complètent par la pensée et construisent un ensemble où les inventions et la vérité sont fondues en un tout indivisible, le savant doit craindre et fuir ce mélange. Le domaine de l’imagination ne lui est sans doute pas interdit, et l’on sait qu’en général les érudits ne se font point faute d’y tenter des excursions; mais l’invention, autant qu’il est possible, doit chez lui être consciente, et elle prend alors le nom d’hypothèse. C’est le cas de citer le jugement si plein de sens que Fréret, en 1753, émettait sur ces traductions : « Les inscriptions étrusques en caractères latins ne sont pas plus intelligibles que les autres, quoiqu’on y rencontre des mots latins défigurés. Les interprétations que quelques savans en ont prétendu donner ne sont que des divinations absolument hasardées, des alliages de mots latins, grecs, hébreux, altérés et rendus méconnaissables. Avec de pareilles licences, on rapportera ces inscriptions à toutes les langues du monde, au bas-breton, au basque, au mexicain. On peut même observer que les auteurs de ces interprétations ne font aucun usage des mots étrusques dont les anciens nous ont transmis le sens. Remarquons enfin qu’il n’est rien moins que prouvé que ces monumens aient la grande antiquité qu’on leur attribue. Ceux qui sont en caractères latins, à n’en juger que par la forme de ces caractères, doivent être postérieurs à la conquête de l’Étrurie par les Romains, et remonter tout au plus au temps de la première guerre punique[1]. »


II.

Le premier qui ait ouvert les voies à une interprétation méthodique est L. Lanzi dans son Essai sur la langue étrusque, publié à Rome en 1789. S’inspirant de la prudence de Fréret, dont il rappelle les paroles, il annonce qu’il ne tentera pas une traduction intégrale des textes, mais qu’il imitera ceux qui expliquent une inscription à demi effacée et qui, là où ils ne peuvent lire, se taisent ou se contentent d’une conjecture présentée avec doute. Il ne saurait considérer les Iguviens comme des Étrusques, puisque sur les Tables eugubines les Étrusques sont nommés en toutes lettres à côté des Iguviens. Toutefois il doit y avoir, vu le voisinage, une certaine parenté entre les deux langues. La syntaxe est, pour la plupart du temps, identique à la syntaxe latine. Quelquefois elle a l’air barbare, mais le lecteur, en ajoutant ici un S, là un M. comme il faut faire aussi dans les inscriptions romaines, ou en opérant quelque autre changement non moins régulier, n’aura pas de peine

  1. Histoire de l’Académie des Inscriptions, t. XVIII, p. 107.