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pendant toute la durée de leur existence ont besoin d’oxygène pour entretenir leur activité vitale.

Tels sont les principaux faits exposés par M. Bert. A un certain point de vue, la méthode physiologique est complètement changée par ces recherches, non pas en elle-même assurément, mais par la transformation des moyens d’expérience. Par exemple, une machine pneumatique ordinaire ne suffit pas, il faut qu’elle soit très grande et mue par la vapeur. Au lieu de petites cloches en verre, il faut d’immenses cloches bardées de fer et capables de résister à une pression de 25 atmosphères. Il faut de plus que la cloche soit transparente au moins en un point : le morceau de verre qui sert ainsi à éclairer ce qui se passe dans les appareils de compression est énorme, et, malgré les précautions qu’on prend, il arrive quelquefois qu’il éclate. Au laboratoire de la Sorbonne, rien n’est plus intéressant que de voir ces immenses appareils aussi délicats que gigantesques.

Ce n’est pas seulement pour l’étude de la respiration qu’il faut avoir des appareils très coûteux, c’est pour l’étude de toutes les fonctions vitales, c’est-à-dire de la physiologie tout entière. Certes ce ne sont pas les appareils qui créent les hommes ; vérité vieille sans doute, mais trop souvent méconnue, mieux vaut un vrai savant sans appareils qu’un mauvais savant muni de toutes les balances et de tous les chronomètres du monde ; mais, pour ne pas rester en arrière des autres pays, il faut que la France fasse des sacrifices et consacre le plus d’argent qu’elle pourra à établir à Paris trois ou quatre laboratoires de physiologie dignes de la Faculté de médecine, de la Faculté des sciences, du Collège de France et du Muséum d’histoire naturelle.

Avec les appareils de précision, avec les instrumens délicats et perfectionnés, la physiologie est entrée dans une voie nouvelle. Elle tend de plus en plus à devenir une science aussi rigoureuse et précise que la physique et la chimie. Ramener les phénomènes de la vie aux lois physico-chimiques, voilà le problème que les physiologistes modernes essaient de résoudre. L’anatomie et l’histologie comparées, la pathologie, la physique et la chimie en fourniront la plupart des élémens ; mais, ainsi que le remarque avec beaucoup de raison M. Bert, il y a une fausse précision et une vraie précision. La fausse précision, que trop souvent de l’autre côté du Rhin on regarde comme la science idéale, consiste à aligner des chiffres et traiter les phénomènes vitaux avec une rigueur mathématique. Par malheur, nous ne connaissons pas assez ces phénomènes pour les faire entrer dans des équations algébriques. Il faut se contenter d’éliminer toute cause d’erreur et de comparer les expériences entre elles. Voilà la vraie précision, celle qui peut mettre sur la voie d’une découverte : c’est la méthode française, moins brillante, mais plus sûre et plus proche de la vérité que la méthode mathématique des Allemands.

CHARLES RICHET.