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vertus ou des convenances professionnelles. — « Il était prévenu, a dit M. Valfrey[1], d’avoir détourné des archives de sa mission un certain nombre de pièces qui étaient la propriété de l’état. La revendication de la chancellerie allemande sur ces pièces était, selon nous, absolument légitime. Pas une d’elles, croyons-nous, n’appartenait au comte Arnim, même les plus personnelles et les plus confidentielles. Notre droit public n’admet à cet égard ni distinction, ni équivoque, et devant des tribunaux français M. le comte Arnim n’eût pas été condamné seulement pour avoir troublé l’ordre public par ses détournemens, il l’eût été avant tout pour avoir fait sienne une propriété de l’état. »

Sur un autre point, l’auteur de la brochure Pro nihilo aura peine à modifier le sentiment général. On croira difficilement sur sa parole que le comte Arnim eut à l’égard de son chef hiérarchique une attitude toujours régulière et correcte, qu’il n’a pas profité de plus d’un incident pour lui faire une opposition sourde ou déclarée, et que M. de Bismarck n’avait pas raison de lui écrire à la date du 20 décembre 1872 : « Aucun département ne comporte aussi peu que celui de la politique étrangère une marche dirigée dans deux sens différens. Une telle manière d’agir me semblerait aussi dangereuse que dans une guerre un état de choses qui permettrait à un général de brigade et à un général de division de se guider d’après deux plans contradictoires. » Il lui écrivait encore, à la date du 19 juin 1873 : « Les tendances dont s’inspirent vos rapports depuis huit mois ne s’accordent point avec les conseils que je donne à sa majesté touchant notre politique en France, et l’assentiment que vous avez trouvé chez elle m’a empêché de soutenir efficacement M. Thiers. Partant, je me vois dans la nécessité de. prendre à mon compte la responsabilité de cette faute politique et de la situation qui en est résultée, bien que je n’y sois pas moralement tenu après les efforts incessans que j’ai faits pour remonter le courant[2]. »

A vrai dire, le conservateur anonyme se fait fort de démontrer que les doléances et les imputations de M. de Bismarck n’étaient point fondées ; mais il n’a pu dissimuler la gravité des dissentimens qui s’étaient, produits entre Berlin et la rue de Lille, et qui autorisaient le chancelier de l’empire à solliciter auprès de l’empereur le rappel du comte Arnim. Il demandait instamment ce rappel, mais il se heurtait contre d’invincibles résistances. C’est dans les questions de personnes qu’il a le plus souvent essuyé de pénibles échecs, et il doit dépenser une notable partie de ses forces à obtenir les destitutions qu’il juge nécessaires au salut de l’état. Comme on l’a dit, c’est surtout le cas « lorsqu’il s’agit

  1. Le Procès d’Arnim, recueil complet des documens politiques et autres pièces produites à l’audience publique, traduit de l’allemand, introduction de M. J. Valfrey, p. VII.
  2. Pro nihilo, p. 32.