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Clémence et le Tambour d’Arcole. Je les nomme dans l’ordre chronologique. La Fin du moissonneur, écrite en 1853 et dédiée à M. Signet, est un tragique tableau où se heurtent les brûlans rayons et les ombres sinistres. Des moissonneurs sont à l’œuvre par un ardent soleil de juin. Jamais on n’a vu pareille Saint-Jean d’été ; la terre est comme chauffée à blanc et un vent de feu courbe les blés. Pas une journée à perdre, pas une heure. A la tête de la troupe est un pauvre vieillard qui, avec plus de zèle que de force, avec plus d’ardeur que de solidité, entraîne ses jeunes compagnons. Tout à coup, comme une flèche embrasée, un rayon du midi l’a touché au front, il trébuche, il chancelle ; le gars vigoureux qui le suit, aveuglé lui-même par le soleil, avance toujours et frappe, suivant le rhythme puissant qui conduit son bras et son arme. Hélas ! ce n’est pas une rangée d’épis qui tombe sous le tranchant du fer, c’est un homme. Aussitôt on crie, on accourt, les lieuses de javelles s’empressent autour du blessé, ce sont des pleurs, des lamentations ; mais lui, qui va mourir, il les console, puis il regarde le ciel et se recommande à monseigneur saint Jean, patron des moissonneurs. « O monseigneur saint Jean, souvenez-vous de moi ! souvenez-vous de mon coin d’oliviers dans la montagne, veillez sur ma fille, consolez ma femme, élevez mon fils. Si parfois j’ai murmuré, pardonnez-moi. La faucille, quand elle rencontre un caillou, crie, elle aussi. O monseigneur saint Jean, l’ami de Dieu, patron des moissonneurs, père des pauvres gens, dans votre paradis, souvenez-vous de moi ! » Sa figure devient toute pâle, ses yeux fixes semblent regarder le soleil, le vieux moissonneur est mort. Muets, sombres, la faucille en main, les autres se sont remis à moissonner en toute hâte, car un mistral de flamme secouait les épis.

La Princesse Clémence, composée en 1863, nous transporte dans un monde tout différent. Un moine du XVIe siècle a raconté en ses chroniques une scène des plus singulières. Il prétend qu’un roi de France, de la branche des Valois, ayant ouï vanter comme une merveille de grâce une jeune princesse de la maison de Provence, résolut de la demander en mariage. Il se trouvait par malheur que le père de la jeune fille était boiteux. Le roi de France, est-il dit, n’était qu’un balourd, et véritablement, si l’histoire est fidèle, ce balourd montra bien (est-ce le moine qui parle ? est-ce le poète ?) « que bassesse niche parfois dans le cœur des plus grands. » L’infirmité du père de la belle le mettait en souci. La princesse Clémence n’avait-elle pas aussi quelque défaut dissimulé avec soin qui, révélé plus tard, détruirait sa beauté ? Suivant le vieux dicton, un enfant court le risque de ressembler à ses parens par le pied ou par l’épaule. Que diraient les Anglais, si les enfans de la reine de