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Cette prudence ne devait pas être imitée. La publication de Dempster provoqua une quantité de travaux sur les antiquités de l’Italie et principalement sur la langue et la civilisation étrusques, où le patriotisme eut plus de part que la critique. C’est ce mouvement d’idées qu’un écrivain italien, Tiraboschi, a appelé l’entusiasmo etrusco. Dès l’année 1726, il se fonda dans l’antique ville de Cortone une académie étrusque[1]. Par leur étendue, comme par la facilité relative du déchiffrement, les Tables eugubines attirèrent particulièrement l’attention, et le principal effort se concentra sur ces inscriptions, dont l’histoire, ainsi que le dit justement Lepsius, semble être devenue à cette époque l’histoire même des études étrusques.

Les principaux érudits qui s’occupèrent des tables furent le marquis Scipion Maffei, le chevalier et abbé Annibale-Camille degl’Abati Olivieri, l’abbé Giambattista Passeri, A.-F. Gori. Parmi ce groupe, un réfugié protestant français, originaire de Nîmes, Louis Bourguet, tient une place importante. À la fois théologien, orientaliste, numismate, géologue, mathématicien, il était en correspondance avec les savans de toute l’Europe. Sous le pseudonyme de Philalèthe, il publia d’abord sur l’inscription Claverniur un travail qui est un pur roman, dont les personnages principaux, le pontife Herti, son frère Claverniur Dirsa, le duumvir Homonus, ainsi que le berger de Mars, étaient absolument sortis de son imagination. Dans un second essai, il donna de la table VI une traduction non moins extraordinaire. Denys d’Halicarnasse raconte que les Pélasges sont originaires de la Lydie, et qu’à leur arrivée en Italie ils eurent à souffrir de divers fléaux, tels que stérilité de la terre, guerre, peste, disette. Pour apaiser les dieux, ils leur offrirent les prémices de tout ce qui naîtrait. La table VI, qui est antérieure à la guerre de Troie, nous a, selon Bourguet, conservé le souvenir de ce vœu. C’est un cantique qu’on chantait à plein gosier : de là le nom de carmen orthium ou de litanies pélasges que lui donne Bourguet. Voici un fragment de sa traduction : « Le produit des semailles a été renversé et brûlé. Les plus gras pâturages ne seront soutenus que d’un peu de rosée. La nourriture est nuisible. Les veaux qui croissaient sont consumés. Il manque de quoi se rassasier. Les veaux qui croissent ont le corps endommagé, et le laboureur est perdu. »

Ces deux premiers essais ne contiennent guère que des rêveries ; mais, peu de temps après, Louis Bourguet eut la bonne fortune de faire une découverte qui a été d’une importance capitale dans l’histoire du déchiffrement. Il reconnut que la table VI (en caractères latins) et la table I (en caractères étrusques) donnent le même texte,

  1. Le président portait le titre de lucumon.