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a ni cadastre ni régime hypothécaire possible, dans un pays enfin où la tenure de la terre et les droits qui en découlent relèvent d’une jurisprudence à la fois religieuse et civile ? Et la corvée, qui approvisionne de bras les shiffliks de la famille vice-royale en diminuant d’autant les moyens d’action sur les terres laissées aux fellahs ! Pour donner une idée exacte de la position économique faite aux fellahs, il suffira de connaître la manière dont se traitent les affaires dans l’intérieur et la nature des relations entre le producteur agricole et l’acheteur ou les intermédiaires de celui-ci.

On sait que, le télégraphe ayant modifié les anciennes conditions de l’offre et de la demande, et l’argent étant à bon marché en Europe, les matières premières sont presque toujours plus chères sur les lieux de production qu’ailleurs. Les fausses nouvelles se confondent avec les vraies, quelques centimes de hausse enlèvent les esprits, la moindre demande d’un article est exagérée aussitôt, et les dépêches annonçant la baisse ramènent le calme sans inquiéter personne ; on y croit à peine, tellement la fiction est entrée dans les habitudes commerciales. Le coton suit la règle commune : le cours de cet article en Égypte, comparé jour par jour avec celui de Liverpool, offre plus souvent le pair que profit, quand il n’est pas supérieur. Ceci paraîtra paradoxal. Comment vivent donc les négocians, dira-t-on, et près de 2 millions de quintaux s’exportent-ils annuellement sans une meilleure chance de gain que celle qui peut naître entre le départ et l’arrivée de la marchandise ? Rien n’est plus vrai cependant. Le coton acheté en Égypte par ordres exprès pour compte des filateurs laisse à l’intermédiaire une commission plus ou moins enflée. Celui qui est expédié en consignation a été généralement manipulé, mélangé, et a déjà donné un profit à l’exportateur. C’est du moins ainsi que les choses se passent en Égypte. Si les évaluations faites à Alexandrie sont basses, il se peut même que la moyenne des classemens sur le marché anglais donne un bénéfice. Ces cas sont rares : la vue, le toucher et les autres sens sont, dit-on, altérés au soleil d’Égypte, et le fair d’Alexandrie n’est souvent que middling à Liverpool. Restent les fluctuations du marché. Les vrais gagnans sont les agens chargés de la vente en Europe ; aussi plusieurs grandes maisons d’Égypte ont-elles leurs propres succursales en Angleterre. En dehors de cette combinaison, les cosignataires sont à plaindre. À côté des alternatives diverses de l’aventure, il y a les arcanes du commerce, qui, sans être la source du Pactole, sèment cependant de quelques paillettes d’or les opérations auxquelles donnent lieu les produits du sol égyptien. La plupart des exportateurs obtiennent de leurs agens d’outre-mer des crédits exceptionnels en blanc, c’est-à-dire qui ne sont représentés par aucune marchandise et dont les bénéficiaires