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princes, le roi de Prusse, l’impératrice de Russie, voulaient avoir leurs musées. Les antiques acquéraient une valeur et excitaient une curiosité toute nouvelle : on devinait que ces monumens allaient renouveler la connaissance de l’antiquité et projeter des rayons imprévus jusque dans ces profondeurs sombres du passé, que semblaient devoir nous dérober d’éternelles ténèbres.

Par sa situation, l’Angleterre n’était point appelée à prendre l’initiative en ces matières ; mais à partir de cette époque elle suivit le mouvement, elle ne marchanda pas les sacrifices que l’on pouvait se croire en droit d’attendre et de sa richesse toujours croissante et du goût très vif pour les lettres anciennes que les fils de ses grandes familles, les membres des deux chambres du parlement, se piquaient de rapporter des universités d’Oxford et de Cambridge. Depuis 1764, elle était représentée à la cour de Naples par William Hamilton, esprit singulièrement actif et curieux. Les devoirs de sa charge lui laissaient beaucoup de loisirs ; il commença par étudier, avec plus de soin et de méthode qu’on ne l’avait fait jusqu’alors, les phénomènes volcaniques dont le Vésuve le rendait témoin. Bientôt après, tenté par toutes les merveilles qui sortaient de terre presque sous ses yeux, il devint archéologue et collectionneur. De grandes familles napolitaines, ruinées par la vie de cour, lui cédèrent des cabinets que plusieurs générations avaient travaillé à former. Au bout de huit ans, son musée renfermait 730 vases peints, 175 terres cuites, environ 350 spécimens de verre antique, 627 bronzes, des ustensiles divers, des bas-reliefs, des masques d’argile, des tessères, des ivoires, des gemmes, des bijoux, des fibules, et plus de 6,000 monnaies, dont beaucoup étaient d’admirables et rares pièces de la Grande-Grèce. Il l’apporta en Angleterre et le proposa au Musée-Britannique ; un appel fut fait au parlement, qui vota en 1772 les fonds demandés, 8,400 livres. La dotation primitive du musée avait été, qu’on ne l’oublie point, constituée au moyen d’une loterie ; c’est donc ici la première somme de quelque importance que la chambre ait allouée pour un achat de ce genre. Même au point de vue économique, c’était de l’argent bien placé. Quelques années plus tard, le célèbre potier anglais, Josiah Wedgwood, déclarait, dans une enquête parlementaire, qu’en deux ans ses produits, imités des vases d’Hamilton, avaient fait entrer en Angleterre, par le succès qu’ils avaient eu sur le continent, un capital triple de celui que la nation avait consacré à cet achat. Pour ce qui était des progrès de la science, le profit fut moins brillant ou du moins l’effet ne fut pas aussi rapide. Hors de l’Italie, il n’y avait peut-être pas de collection qui renfermât autant de vases peints et d’aussi beaux échantillons de cet art exquis ; mais le moment n’était pas encore venu où