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princes, secondés par les classes supérieures, ce rôle que ne réclamèrent en Angleterre ni la couronne ni le parlement, de simples particuliers s’en emparèrent et le remplirent avec honneur. C’est là un des phénomènes qui caractérisent l’Angleterre : pas de pays où l’état ait plus laissé à faire aux individus, et où ceux-ci aient accepté plus volontiers et plus brillamment exercé certaines attributions ailleurs réservées aux pouvoirs publics. Le Musée-Britannique a dû sa naissance à des pensées et à des libéralités privées, à la curiosité persévérante de quelques collectionneurs passionnés, à leur amour de la science et à leur patriotisme.

Le premier en date, sur cette liste des bienfaiteurs de l’Angleterre, c’est sir Robert Cotton, né en 1570. On ne saurait ici, comme les écrivains anglais, entrer dans de longs détails sur sa généalogie et sur sa vie politique. Il suffira d’indiquer que par les femmes il descendait de Robert Bruce, le célèbre libérateur de l’Écosse, d’où la signature Ro. Cotton Bruceus, qu’on lit encore sur les livres provenant de sa bibliothèque. Quant à la part prise par lui sous trois règnes aux affaires publiques, c’est assez de rappeler que, sans être arrivé ni même avoir jamais aspiré à figurer en première ligne dans les luttes parlementaires, ce personnage, membre influent de la chambre des communes pendant de longues années, fut étroitement mêlé à toutes les graves questions qui s’agitèrent de son vivant. Esprit avisé et judicieux plutôt que brillant, souvent consulté par Elisabeth et Jacques Ier comme l’un des hommes qui connaissaient le mieux l’histoire et le droit public de l’Angleterre, il finit par être jeté malgré lui dans l’opposition par les velléités despotiques de Charles Ier. D’ailleurs, dans la faveur comme dans la disgrâce, il n’était pas de ceux à qui suffisent la politique et les perspectives qu’elle ouvre à l’ambition. Au sortir de Cambridge, il s’était lié avec quelques hommes distingués que commençaient à préoccuper les antiquités nationales. Le doyen et le maître de ce groupe, c’était Camden, l’illustre auteur de la Britannia. Associé aux recherches de Camden, ayant visité avec lui plusieurs provinces de l’Angleterre, Cotton profita de ces voyages pour réunir un grand nombre de livres et surtout de pièces manuscrites, cartulaires, chartes, pouillés, documens de toute espèce ayant trait à l’histoire du pays ; il ne négligea pas non plus les médailles. À ces acquisitions il employa la meilleure part d’une fortune considérable pour le temps. Ce qu’il ne pouvait acheter, il le dut souvent soit à son propre crédit d’homme politique, soit à la complaisance de ses amis et de ses nombreux correspondans. Aucun souverain anglais n’avait encore compris l’importance des papiers d’étal ; il n’existait point d’archives royales. Cotton put donc, sans choquer le prince,