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moins avec l’avantage moral, à ce qu’ils assurent. Depuis que M. le garde des sceaux, chargé de représenter le gouvernement dans la dernière discussion, a prononcé le discours qui a décidé le succès du scrutin d’arrondissement, il est convenu aux yeux des partisans du scrutin de liste que M. Dufaure est tombé ce jour-là au-dessous de lui-même, qu’il a été vraiment le plus embarrassé des hommes, qu’il n’a retrouvé ni sa dialectique serrée ni sa verve ; il n’est pas moins entendu que M. Ricard s’est révélé comme le modèle des debaters, et que M. Gambetta a ébloui le monde des éclairs de son éloquence ! C’est un assez lisible jeu de la vanité ou de l’esprit de parti.

La vérité est que M. le garde des sceaux a été cette fois ce qu’il est toujours, qu’il a déployé cette raison vigoureuse, pressante, mêlée de bonhomie et de sarcasme, qui lui assure une si singulière autorité dans les assemblées. Lorsqu’il a montré que ce qu’on s’efforce de aujourd’hui était contenu déjà dans les projets constitutionnels du 19 mai 1873, que les auteurs de ces projets avaient considéré comme une nécessité pour la république ces trois garanties indissolubles, — l’existence de deux chambres, le droit de dissolution exécutif et le vote par arrondissement, — qu’y avait-il à répondre ? Lorsqu’il a exposé, non en histprien ou en homme d’imagination, mais en politique, les conditions nouvelles créées par le suffrage universel, lorsqu’il a décrit cette situation électorale où un homme vivant entre maison et son champ peut se trouver tout à coup avoir à choisir une liste qui ne représente rien pour lui ou qui ne représente que quelque chose d’inconnu et de lointain, que pouvait-on objecter sérieusement ? Lorsqu’il a fait sentir qu’il s’agissait aujourd’hui non plus comme en 1848 ou en 1871 de sortir d’un chaos révolutionnaire, de nommer une assemblée constituante, mais de compléter, de faire vivre une régulière par des institutions pratiques et sincères, qu’avait-on à dire ? C’était frappant, et si devant cette parole précise, sensée, la du scrutin de liste a été perdue, nous n’aurons pas à notre tour la de prétendre que c’est parce qu’elle a été mal défendue ; elle a été au contraire défendue avec autant de talent que de zèle et de dévoûment par les rapporteurs chargés de cette mission ingrate et difficile. Elle a succombé devant la raison de l’assemblée comme elle avait déjà devant la raison publique, parce que ce scrutin de liste ne répond pas réellement à ce que M. Gambetta appelle une situation « apaisée sous l’égide d’une constitution, » parce que ceux qui ont eu à défendre le système de représentation multiple n’ont pu eux-mêmes en dissimuler le caractère irrégul’ier et périlleux. Ils ont vainement à leur secours l’histoire, la statistique, la morale, la politique, ils pas réussi à montrer qu’il y avait plus de vérité dans un scrutin par le hasard ou par des meneurs intéressés que dans une élection