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I.

Le Zuiderzée est la plus jeune des mers européennes. Selon Tacite et les géographes anciens, elle n’existait pas encore lorsque les Romains envahirent ces parages; le pays était couvert de sombres forêts, au milieu desquelles s’étendait le lac Flevo ; un fleuve, nommé Flevum, établissait une communication avec la mer. Peut-être le sable des dunes obstrua-t-il l’embouchure; ce qui est certain, c’est que les eaux de l’Amstel et de l’Yssel s’attardèrent peu à peu dans le lac. Plus tard, par ses travaux, Drusus Néron augmenta l’Yssel d’une partie des eaux du Rhin, et le danger s’accrut encore. Enfin le Flevo déborda et transforma ses rives boisées en marécages. Tel fut l’état des lieux jusqu’en l’an 1282, époque à laquelle la mer, poussée sans doute par une tempête du nord, fit irruption dans cette vaste plaine bourbeuse, dont elle devait garder la propriété pendant plus de six siècles.

Rien longtemps personne ne songea qu’on pût contester à l’océan sa conquête; mais en 1849 l’ingénieur van Diggelen conçut l’idée d’un dessèchement complet, au moyen d’une digue qui fermerait le détroit d’ouverture. Par malheur, l’énormité des travaux proposés, la violence de la mer en cet endroit, l’existence de courans rapides et de chenaux profonds rendaient ce plan impraticable. Pendant seize ans, on n’y pensa plus.

En 1865, M. Rochussen, ancien gouverneur-général des îles néerlandaises, esprit actif et entreprenant, reprit l’idée abandonnée. A son instigation, M. Reyerinck, du Waterstaat, ancien directeur des travaux de Harlem, se chargea de rédiger un avant-projet, d’après lequel on devait restreindre le dessèchement à la partie méridionale de la mer. Aussitôt la société néerlandaise du crédit foncier s’engagea dans l’entreprise et chargea M. Stieltjes des premiers sondages; un chimiste lui fut adjoint pour analyser les échantillons de terre extraits du golfe. Le résultat de ces études préparatoires fut très satisfaisant; on acquit la certitude que le lit du Zuiderzée était presque partout formé d’une terre d’alluvion fort grasse, en couche épaisse, et excellente pour la culture. Alors M. Heemskerk, ministre de l’intérieur, prit l’affaire en main : il composa un conseil spécial, formé de 11 membres du Waterstaat, qui consulta toutes les parties intéressées, prit avis des administrations provinciales, communales et hydrographiques, puis rédigea en 1868 un rapport qui approuvait la concession du dessèchement à la Société néerlandaise du crédit foncier, sous la réserve qu’elle présenterait d’abord un projet définitif. Dès lors