Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fut aussi le premier à donner l’éveil sur les menées ténébreuses avec Prim et la candidature espagnole du Hohenzollern. Enfin on a déjà vu plus haut qu’il avait reconnu dès le début le caractère alarmant et la portée véritable de la mission du général Manteuffel en Russie.

« Si difficile qu’il soit, pour un grand pays comme la France, de tracer d’avance sa ligne de conduite dans l’état actuel des choses, — disait à son gouvernement M. Benedetti au commencement de l’année 1868, — et quelque grande que puisse être la part qu’il convient de faire à l’imprévu, l’union de l’Allemagne sous un gouvernement militaire fortement organisé, et qui à certains égards n’a du régime parlementaire que les formes extérieures, constitue cependant un fait qui touche de trop près à notre sécurité nationale pour que nous puissions nous dispenser de nous poser et de résoudre sans plus tarder la question suivante : un pareil événement met-il en danger l’indépendance ou la position de la France en Europe, et ce danger ne peut-il être conjuré que par la guerre? Si le gouvernement de l’empereur estime que la France n’a rien à redouter d’une si radicale altération dans les rapports des états situés au centre du continent, il serait désirable, à mon sens, dans l’intérêt du maintien de la paix et de la prospérité publique, de conformer entièrement et sans réserve notre attitude à cette conviction... Dans le cas contraire, préparons-nous à la guerre sans relâche, et rendons-nous bien compte d’avance de quel concours peut nous être l’Autriche, calculons notre conduite de manière à résoudre l’une après l’autre la question d’Orient et celle d’Italie; nous n’aurons pas de trop de toutes nos forces réunies pour être victorieux sur le Rhin. »

C’est surtout dans sa manière de juger l’accord établi entre les deux cours de Berlin et de Saint-Pétersbourg que M. Benedetti a fait preuve d’une justesse et d’une supériorité de coup d’œil vraiment remarquables. Il eut d’abord le mérite de pressentir l’entente dès la première heure et d’y croire inébranlablement jusqu’à la dernière. Au mois de septembre 1869, le souverain des Français s’était avisé de nommer au poste d’ambassadeur auprès du tsar l’un de ses confidens les plus intimes, l’un de ses coopérateurs les plus dévoués du 2 décembre, un général renommé par sa bravoure et son intelligence, un grand écuyer. C’était assez indiquer qu’on désirait entrer dans des rapports aussi intimes et aussi directs que possible, et malgré l’échange de télégrammes à la fête de Saint-George