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et dont la première classe n’est conférée qu’à celui qui remporte une victoire éclatante. L’empereur Alexandre II envoya cette distinction au roi Guillaume Ier au vainqueur de Sadowa et ancien combattant de 1814. « Acceptez-la, lui télégraphiait-il, comme une nouvelle preuve de l’amitié qui nous unit, amitié fondée sur le souvenir de cette grande époque où nos armées réunies combattaient pour une cause sacrée qui nous était commune. » Et le roi de Prusse aussitôt de répondre par le télégraphe : « Profondément touché et les larmes aux yeux, je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait et auquel je ne pouvais m’attendre; mais ce qui me réjouit encore plus, ce sont les expressions par lesquelles vous me l’avez annoncé. Je vois en effet dans ces expressions une preuve nouvelle de votre amitié et de votre souvenir de la grande époque où nos armées réunies combattaient pour la même cause sacrée[1]

Au commencement de la même année et pendant que siégeait encore la conférence de Paris, s’éteignait à Nice un serviteur fidèle des sultans, un des derniers grands hommes d’état de la Turquie. Avant de descendre dans la tombe, Fuad-Pacha traçait d’une main défaillante un mémoire pour son auguste maître, qu’il disait être son testament politique. Le document devait rester secret, et ne parvint en effet que tout récemment à la publicité[2]. « Lorsque cet écrit sera placé sous les yeux de votre majesté, y lisait-on, je ne serai plus de ce monde. Vous pouvez donc m’écouter sans méfiance et vous devez vous pénétrer de cette grande et douloureuse vérité que l’empire des Osmanlis est en danger... » Et après avoir passé en revue les différens états du continent et signalé le conflit plus ou moins prochain, mais inévitable, entre la France et la Prusse, Fuad-Pacha concluait par ces mots : « une lutte intestine en Europe et un Bismarck en Russie, et la face du monde se trouvera être changée, »


III.

Il n’a été donné qu’à Dieu de contempler son œuvre achevée et de se dire « que cela était bon; » notre pauvre humanité goûte rarement une jouissance aussi pure, et le parti de l’action dans les conseils du second empire n’en connut guère à la suite des événemens de 1866, qu’il avait si puissamment contribué à créer. L’ambassadeur de France près la cour de Berlin se trouvait au nombre

  1. Journal officiel de l’empire russe, 12 décembre 1869.
  2. On peut lire ce document remarquable, qui porte la date du 3 janvier 1869 dans l’intéressante brochure de M. J. Lewis Farley, The decline of Turkey, London 1875, p. 27-36.