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russophiles du gouvernement; ils lui reprochent d’agir de concert avec la Prusse et de préparer des difficultés à l’Autriche dans l’éventualité d’un conflit entre la France et la Prusse. Les feuilles du gouvernement répondent en faisant valoir que le parti national n’est en principe l’adversaire d’aucune puissance, et qu’on n’a pas de raison pour combattre la Russie du moment que cette puissance défend la cause du droit et des nationalités opprimées. »

Assurément il serait injuste de vouloir faire remonter jusqu’au gouvernement russe la responsabilité de toutes les agitations désordonnées de cette époque dans le monde slavo-gréco-roumain, mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne fit rien pour les arrêter ou seulement les désavouer. En parcourant les documens parlementaires de ce temps, les divers livres bleus, rouges, verts et jaunes des années 1867-69, on est frappé de rencontrer à chaque pas des représentations multipliées et énergiques, adressées par les cabinets de Londres, des Tuileries et de Vienne à la Serbie, à la Roumanie et à la Grèce au sujet de leurs préparatifs militaires, des envois d’armes clandestins et des bandes envahissantes, pendant que les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Berlin s’abstiennent soigneusement de toute démarche de ce genre. Par un retour piquant des choses d’ici-bas, qui dut faire l’étonnement des Nesselrode et des Kamptz dans leur céleste demeure, c’étaient maintenant les puissances occidentales, c’étaient l’Angleterre et la France, auxquelles se joignait aussi l’Autriche, qui dénonçaient au monde les menées révolutionnaires du parti démagogique européen, tandis que la Prusse gardait le silence et que la Russie s’obstinait à nier le fait ou en plaidait les circonstances atténuantes. Les excuses pour le gouvernement d’Athènes, le prince Gortchakof les trouvait tout bonnement dans la constitution hellénique : « cette constitution, disait-il, donne à tous les Grecs pleine liberté de quitter leur propre pays et de prendre parti dans tout conflit tel que celui qui existait en Crète[1], » et ce fut là à coup sûr un spectacle original que celui d’un ministre d’une autocratie faisant valoir devant un vieux whig comme lord Clarendon les conditions inexorables d’un régime parlementaire et légal. La Porte, on se le rappelle, ne voulut rien comprendre à une légalité qui la tuait; elle finit par perdre patience, par adresser un ultimatum au gouvernement d’Athènes, et une conférence se réunit à Paris pour « rechercher les moyens d’aplanir le différend survenu entre la Turquie et la Grèce. » De bonnes âmes appréhendèrent une attitude embarrassée de la part du chancelier russe devant un pareil aréopage, elles le crurent même capable de mettre des entraves

  1. Dépêche de sir A. Buchanan au comte de Clarendon, 19 décembre 1868.