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vous entraîne, si vous êtes infidèles à nos traditions, à cette sainte indépendance de l’esprit, orgueil de nos belles années, si vous faites du talent une industrie qui, elle aussi, veut être protégée et mesure le bonheur public au taux de ses profits, votre déchéance est celle même de la patrie, et vous amenez devant l’Europe, dédaigneusement triomphante, le pavillon de la France. » — « L’égalité, disait-il ailleurs, ne dédommage de la liberté que la bassesse, » et, pour rétablir en France la liberté, il demandait qu’on évitât tous les extrêmes, et que tous les nobles efforts fussent consacrés à relever la cause de la modération.

On voit qu’après tant d’épreuves M. de Rémusat était resté le même qu’au début de sa carrière, libéral et modéré. En 1860, il en donna une preuve nouvelle en publiant, sous le titre significatif de Politique libérale ou fragmens pour servir à la défende de la révolution française, une suite de fragmens écrits depuis son retour en France et reliés par une pensée commune. Il ne fallait pas, selon lui, confondre l’esprit de la révolution, l’esprit libéral avec l’esprit révolutionnaire, qui, égaré par une fausse logique, absout et sanctifie dans leurs excès les passions qui font le mal au nom du bien; mais il lui paraissait que, pour établir en France la liberté politique, la révolution était nécessaire, et il en demandait la preuve à l’histoire de la monarchie française depuis Richelieu. Il n’y avait rien à attendre ni d’une royauté qui avait tout absorbé, tout accaparé, et qui ne voulait rien céder de ses prérogatives, ni d’institutions qui n’avaient jamais existé ou qui étaient tombées en désuétude, ni des deux premiers corps de l’état, qui tenaient avant tout à la conservation de leurs privilèges, ni même de la bourgeoisie frondeuse, mais complaisante, mécontente, mais soumise et devenue l’instrument de la royauté. L’ancien régime dans aucune de ses parties n’offrait un point d’appui qui pût être conservé et le sol même de la société devait être profondément remué. M. de Rémusat écartait donc comme des chimères l’assertion des écrivains qui croient que la France pouvait passer sans effort de la monarchie administrative de Louis XIV et de Louis XV à la monarchie parlementaire, et, tout en flétrissant avec une juste indignation les excès de la révolution, il en approuvait le principe. Il reconnaissait qu’en 1814 la transaction aurait pu se faire à la condition qu’elle fût loyalement acceptée par la cour et par le parti de l’émigration. « Mais, disait-il avec un profond bon sens, c’est la légitimité qui a perdu la monarchie légitime... Ce malheureux dogme s’est glissé comme un poison funeste dans toute la politique, et il en a corrompu les parties les plus saines. «Si, en 1830, la transaction avait définitivement échoué, ce n’était pas aux ennemis de la restauration qu’il fallait s’en prendre, c’était à ses défenseurs, et il ajoutait