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n’est pas convaincu que le suffrage universel, dans tous les temps et tous les pays, ait sanctionné les points que lord Herbert déclare supérieurs à l’observation et à l’expérience; mais il le considère, après Hallam, comme le premier métaphysicien qu’ait eu l’Angleterre et comme un des fondateurs de la philosophie du sens commun.

Au surplus, dans un volume publié en 1864 sous le titre de Philosophie religieuse, M. de Rémusat a fait lui-même sa profession de foi. Il croit fermement que la raison, par ses propres forces et par une révélation naturelle, peut arriver à la connaissance certaine de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, des peines et des récompenses dans un autre monde; mais il ne nie pas que les religions révélées ne puissent généraliser et fortifier cette certitude. « La philosophie, dit-il, n’est pas la religion, mais la religion et la philosophie professent sur Dieu et sur l’âme des vérités communes que l’une révèle, que l’autre déduit. Et ainsi dans le cercle de ces vérités elles ne se combattent ni se suppléent l’une l’autre, mais elles peuvent se concilier et s’appuyer l’une l’autre, la philosophie pouvant convaincre les esprits que la foi ne persuade pas, et la religion persuader ceux que la philosophie ne saurait convaincre. » Ne faut-il pas regretter que cette sage conciliation, proposée par un des chefs de l’école spiritualiste, n’ait été acceptée ni par la religion, ni par la philosophie, et qu’en quittant la vie il ait vu s’engager avec plus de violence que jamais la guerre à laquelle il aurait voulu mettre un terme?

M. de Rémusat avait toujours aimé l’Angleterre, où il voyait le modèle du gouvernement qu’il avait contribué à fonder en 1830. En 1852, pendant son séjour dans ce pays, l’idée lui vint d’étudier le jeu des partis au XVIIIe siècle, et de publier une suite d’essais sur les hommes les plus notables de ce temps, à commencer par Bolingbroke. Aucun moyen d’information ne lui manquait, et, soit au British Museum, soit au club de l’Athenœum, il trouvait tous les documens dont il pouvait avoir besoin. Rien n’était mieux fait pour attirer son attention que cette époque de transition entre la monarchie des Stuarts et le gouvernement parlementaire de la maison de Hanovre, époque où l’on voit les partis se composer et se décomposer, se former et se transformer, où, à côté d’hommes d’état comme Somers, Malborough, Godolphin, Halifax, Harley, Walpole, Pulteney, on rencontre des journalistes comme Steele, de Foe, Swift, Addison, où Bolingbroke enfin, orateur de premier ordre et écrivain excellent, audacieux, ambitieux, intrigant, homme de beaucoup d’esprit et de peu de conscience, se mêle à toutes les combinaisons, devient en France ministre du prétendant dix mois après avoir été