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se pose aujourd’hui, et l’église avait des revendications légitimes à exercer. Il ne lui en coûtait donc pas de rester impartial entre les deux parties et de juger avec une équité bienveillante les prétentions de l’église. C’était d’ailleurs une pure et touchante figure que celle de saint Anselme, et il était difficile de n’avoir pas plus de sympathie pour le prélat persécuté que pour les rois ses persécuteurs. Enfin saint Anselme avait cherché dans la raison la preuve de la foi, et M. de Rémusat voyait en lui un des précurseurs de Descartes. Avant ce livre, saint Anselme était connu des érudits, il ne l’était pas du public, parce que personne n’avait exposé avec autant de lucidité ce mélange de religion et de métaphysique qui constitue sa philosophie, ni décrit avec autant de charme la part qu’il a prise aux événemens de son temps. En écrivant sa vie, M. de Rémusat rendait hommage à un des plus nobles caractères qui aient honoré cette époque si troublée et si confuse, en même temps qu’il présentait le tableau le plus animé de la vie monastique et de la vie des cours au XIe siècle. Augustin Thierry lui-même n’a pas fait mieux.

Dans Bacon au contraire, M. de Rémusat reconnaissait « un des grands promoteurs de l’esprit des temps modernes, le héraut des sciences d’expérience, le créateur de l’empirisme rationnel, le père de la philosophie expérimentale, » en un mot un grand génie et un grand écrivain. En même temps, il trouvait en lui les faiblesses et les vices qu’il avait souvent flétris et qu’il ne pouvait pas absoudre parce que le coupable était un homme illustre. Il avait d’ailleurs quelques réserves à faire non sur l’esprit général de la philosophie, ni sur ses méthodes, mais sur l’application qu’il en faisait, et qui lui paraissait manquer quelquefois d’exactitude et de pénétration. Certes le procédé de l’induction était excellent, et on ne pouvait nier les progrès qu’il avait fait faire à la science; mais Bacon semblait avoir oublié que ce procédé supposait lui-même des idées autrement acquises. M. de Rémusat n’accusait pas Bacon, comme M. de Maistre, d’être l’auteur de la philosophie sensualiste du dernier siècle, mais il lui reprochait d’avoir fourni des armes à cette philosophie par son mépris de toute métaphysique. Il fallait donc louer lord Herbert de Cherbury d’avoir rompu avec l’empirisme de Bacon et reconnu que l’intelligence n’a pas besoin de secours externes pour posséder les vérités qui lui sont propres. Ces vérités, quelles sont-elles? Ce sont les notions communes qui se trouvent dans tout entendement sain et que Dieu même a déposées dans l’âme humaine. C’est sur ce principe que lord Herbert fonde la religion naturelle indépendamment de toute révélation particulière. Cette philosophie paraît à M. de Rémusat bien préférable à celle de Bacon. Néanmoins il lui reste quelques doutes, et il