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tendre encore à son ancien collègue et ami M. Cousin, remplacé par M. Jules Favre, et c’était pour lui une nouvelle occasion d’honorer la philosophie et de rendre justice au philosophe dont les conversations, s’élevant sans effort des frivolités de la vie commune aux mystères de l’âme et de la destinée, rappelaient les graves entretiens des sages de la Grèce, au cap Sunium ou sur les bords de l’Ilissus. Enfin, si la mort ne l’avait pas frappé inopinément, c’est à lui que revenait l’honneur de faire au même titre l’éloge de M. Guizot en recevant son successeur. Je l’ai vu fort préoccupé de cette nouvelle mission, dont il ne se dissimulait pas les difficultés; nul doute qu’il ne l’eût accomplie avec la même supériorité, surtout si, comme il le désirait, il eût pu joindre à l’éloge de M. Guizot celui de son ami M. Jules Simon.


Cependant la situation politique n’était plus tout à fait la même. Le ministère Guizot était ébranlé, et l’accord un moment troublé s’était refait entre les différentes fractions de l’opposition constitutionnelle. Un programme commun avait été concerté entre M. Thiers et M. Barrot, et les deux mesures principales inscrites dans ce programme étaient la réforme électorale et la question des incompatibilités parlementaires. On m’avait chargé de la première proposition, et la seconde appartenait depuis plusieurs années à M. de Rémusat. Elles furent toutes deux présentées et perdues dans la session de 1847. Pour la troisième fois, tout l’esprit de M. de Rémusat échoua contre le parti-pris de la chambre; mais après cet échec et celui de la réforme électorale l’opposition vaincue crut devoir porter ailleurs le débat et faire appel au pays. Alors commença la fameuse campagne des banquets. M. de Rémusat était loin de la désapprouver; mais, comme ancien ministre, il ne crut pas devoir y prendre une part personnelle, et il se contenta d’encourager ceux qui, plus libres que lui, s’y étaient engagés. Outre qu’il voyait dans ces réunions l’exercice d’un droit consacré par l’usage dans tous les pays libres, il lui semblait qu’il était bon d’avertir la majorité de la chambre que l’opinion publique pouvait quelque jour se retirer d’elle, si elle persistait dans sa résistance à toute réforme. Malheureusement, par une suite de circonstances imprévues, la réforme se transforma en révolution, et au moment du danger le gouvernement ne sut pas choisir entre les deux seuls partis qu’il pût prendre, résister par la force à l’insurrection, ou bien la désarmer en détachant, par des concessions opportunes, ceux qui ne voulaient qu’une réforme. Le mal s’aggrava rapidement, et il était presque irréparable quand, dans la nuit du 23 au 24 février, vers deux heures du matin, je vis entrer chez moi M. de Rémusat, me disant du ton moitié sérieux, moitié railleur qui lui