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qu’il s’est tracé et sans fatigue, se promène dans les sentiers quelquefois assez raboteux de la scolastique. C’est qu’il ne partageait pas les dédains si faciles de la science moderne pour les formes subtiles ou frivoles de la pensée humaine au moyen âge. Tout en reconnaissant que la scolastique fut souvent une science de mots, il y retrouvait à travers les obscurités qui lui sont propres les traits essentiels des grandes doctrines qui se sont partagé et disputé l’esprit humain. En faisant voir ce qu’elle avait reçu des anciens et ce qu’elle avait elle-même transmis à ses successeurs, il constatait qu’elle n’a rien tiré de son propre fonds, mais il lui restituait le rang qui lui appartient dans l’histoire de la philosophie. Chez ce large et équitable esprit, le goût des nouveautés et la foi dans le progrès n’excluaient pas l’estime indulgente pour le passé. Soit qu’il analysât dans le plus grand détail la philosophie et la théologie d’Abélard, soit qu’il examinât la valeur des objections qui lui étaient opposées, M. de Rémusat montrait clairement que les plus grandes hardiesses de ce terrible novateur ne visaient qu’à donner prématurément une explication rationnelle du mystère de la foi. Il faut regretter l’avortement de cette première renaissance du XIIe et du XIIIe siècle, étouffée sous la lourde main de l’église et dont Abélard fut à la fois le héros et le martyr.

Le moment arrivait d’ailleurs où pleine justice allait être rendue à M. de Rémusat. Déjà, après la publication de ses essais de philosophie, il avait remplacé à l’Académie des Sciences morales et politiques son ami M. Jouffroy. En 1847, il remplaça à l’Académie française M. Royer-Collard, que la France venait de perdre. Qui mieux que M. de Rémusat eût pu succéder à cet homme d’un esprit hardi et réglé, grave et piquant, libéral et conservateur, philosophe et chrétien, dont chaque parole était un oracle et dont toute la vie s’est écoulée sous l’empire d’une seule pensée, la pensée du devoir? En le suivant depuis ses premières années jusqu’à la fin de sa vie, M. de Rémusat s’est surtout attaché à faire ressortir ce grand trait de son caractère, et personne n’avait plus le droit de le faire. Dans ce portrait inspiré par une respectueuse admiration, M. Royer-Collard revit tout entier « avec ce frappant mélange d’indépendance et de discipline, de témérité et de retenue, de respect pour l’ordre et de mépris pour toute autorité qui n’est pas la raison. » Ne sont-ce pas aussi les traits qui distinguent M. de Rémusat de ses contemporains et qui constituent sou originalité? En célébrant, à propos de M. Royer-Collard, l’alliance de la philosophie et de la politique, il défendait sa propre cause, et il pouvait s’attribuer à lui-même une bonne part des applaudissemens qu’il obtint. Quelques années plus tard, par un singulier rapprochement, M. de Rémusat, directeur alors de l’Académie, rendait un hommage plus