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il publia un article qui commençait par ces paroles hardies : « Le crime est consommé, les ministres ont conseillé au roi des ordonnances de tyrannie. Nous n’appelons que sur les ministres la responsabilité de pareils actes ; mais nous la demandons mémorable. Le Moniteur que nous publions fera connaître à la France son malheur et ses devoirs... Nous ne céderons qu’à la violence, nous en prenons le solennel engagement. Le même sentiment animera tous les bons citoyens. » — «Après tout, disait-il en finissant, nous confions sans crainte la défense de la liberté légale par les moyens légaux à la nation la plus brave de l’univers. Les jours d’une nouvelle gloire sont venus pour la France. »

Pour qui sait lire entre les lignes, il était évident que, si les moyens légaux ne suffisaient pas, M. de Rémusat conseillait une autre sorte de résistance. On ne fut donc pas étonné d’apprendre que sa liberté était menacée. Il n’en continua pas moins, pendant le combat, de servir la bonne cause par ses écrits et par ses conseils. Après la victoire, il se rallia vite, avec la justesse ordinaire de son esprit, à la seule combinaison qui fût possible et salutaire. Petit-fils et aide-de-camp du général Lafayette, il avait un accès facile auprès de lui, et il s’interposa utilement entre la majorité encore incertaine de la chambre et le général, que ses anciens amis voulaient pousser vers la république. « Il n’y a, lui dit M. de Rémusat, de choix à faire qu’entre une république dont vous seriez président, et une monarchie constitutionnelle avec le duc d’Orléans. Voulez-vous être président de la république? — Non certainement. — Alors la question est jugée. » Elle était jugée en effet, et M. de Lafayette accepta franchement le jugement. Dans les débats qui suivirent et qui portaient sur la nouvelle constitution, M. de Rémusat eut encore à intervenir plus d’une fois entre le gouvernement où siégeaient MM. de Broglie et Guizot et le redoutable commandant en chef de la garde nationale. Il le fit toujours dans un esprit de conciliation, et sans sacrifier les intérêts de la liberté ni ceux de l’ordre. Quelques mois après, les électeurs de la Haute-Garonne l’appelaient à prendre place dans la chambre des députés en même temps que MM. Thiers et Odilon Barrot. A partir de ce jour, il entrait dans la carrière où il devait finir sa vie.

C’était un véritable événement que cette entrée de la jeune génération dans la vie parlementaire, et l’on se demandait quel parti allaient prendre des hommes qui, comme M. Thiers et M. de Rémusat, avaient appartenu à l’opposition la plus vive. On le sut bientôt. M. de Rémusat ne partageait pas toutes les opinions de la majorité conservatrice de l’assemblée, qui s’effrayait trop, selon lui, des conséquences de la révolution; mais il s’associait moins encore aux colères violentes et aux projets du parti contraire. Il connaissait