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dans la connaissance de la nature, de la vie et d’eux-mêmes, la cherchaient dans l’imitation des grands maîtres et ne produisaient que des œuvres glacées, d’insignifians pastiches. « Presque tous copient, disait-il, et les plus hardis se bornent à chercher de nouveaux modèles en substituant une école à une autre, l’Allemagne à la France. » Trois poètes seulement lui paraissaient faire exception, Casimir Delavigne, Lamartine et Béranger ; mais, indulgent pour Casimir Delavigne et Béranger, il se montrait d’une extrême sévérité pour Lamartine, dont l’imagination rêveuse lui plaisait peu, tandis qu’au contraire Casimir Delavigne et Béranger le captivaient par le sentiment patriotique et vraiment français dont les Messéniennes et les Dernières Chansons étaient empreintes.

Il était bien difficile en effet que dans ces temps agités la politique ne se mêlât pas à toutes les discussions philosophiques ou littéraires. Bien qu’elle fût interdite au Globe, elle y pénétrait par tous les côtés, et personne moins que M. de Rémusat n’était disposé à lui fermer la porte. Il suffit pour s’en convaincre de lire les articles qu’il publia vers la même époque sur les mœurs du temps. C’était le pendant des tableaux qu’il avait faits précédemment de l’état des opinions au XVIIIe siècle et à la fin de l’empire ; mais cette fois il s’agissait de peindre la bonne société sous la restauration, et la tâche était difficile pour un homme du monde. M. de Rémusat ne recula pas devant les colères qu’d allait soulever. Il commençait par rappeler que tout le dernier siècle avait conspiré contre l’ancien régime par la conversation, « mais, ajoutait-il, comme il arrive souvent, le complot n’a point profité aux conspirateurs… Déçue et châtiée, la bonne compagnie s’est amèrement repentie d’avoir succombé à la tentation de l’esprit. Confuse de sa faute, elle craint aujourd’hui, elle fuit les idées nouvelles comme des pièges, les idées générales comme des visions ; elle se reproche d’avoir trop pensé pour son salut même en ce monde, et semble avoir juré, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. »

Dans cet état des esprits, il arrivait naturellement que l’absence de principes passait pour la vraie sagesse, et que tout homme qui n’était pas toujours prêt à sacrifier les intérêts généraux à ses intérêts particuliers était considéré comme une mauvaise tête, et avait besoin d’être excusé par ses amis. « Les opinions politiques, disait-il, se prennent par bienséance plutôt que par conviction… On aurait assez goûté l’empire, si ses formes brusques n’avaient quelquefois heurté le bon goût et ses excès compromis le repos, car c’est le repos que l’on prise avant toutes choses… Les injustices et les violences choquent surtout parce qu’elles font du bruit. Aussi est-on souvent tenté de se fâcher contre ceux qui s’en plaignent plus que contre ceux qui les commettent. »