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idées, mais aux événemens. Cette disposition des esprits en politique répondait à une disposition analogue sur toutes les choses de l’ordre moral. La philosophie, les arts, pour tout dire en un mot, les opinions étaient resserrées dans d’étroites limites : on mettait la sagesse dans la contrainte. Peu de mouvement, point de nouveauté, beaucoup de prudence. On se défiait du raisonnement dans les choses de raisonnement, de l’imagination dans les choses d’imagination... L’esprit humain a rarement été moins fier de lui-même. C’est un temps où il fallait être soldat ou géomètre. »

M. de Rémusat ne désirait être ni l’un ni l’autre; mais pendant qu’il continuait ses études sérieuses tout en faisant des chansons, l’empire penchait vers sa ruine, et un changement notable se faisait dans la société naguère encore éblouie et asservie où vivaient ses parens. Ce changement se marque nettement dans les mémoires inédits de Mme de Rémusat, qui contiennent des particularités très piquantes sur la cour impériale. Les hommes d’esprit dont cette société se composait commençaient à comprendre que le pouvoir absolu perd les nations bien loin de les sauver, et l’humeur opposante se développait, même parmi les fonctionnaires impériaux. La jeune intelligence de M. de Rémusat les avait devancés, et il n’eut aucun effort à faire, quand survint la catastrophe, pour accepter comme dédommagement des désastres de la guerre l’aurore de la liberté constitutionnelle. Ses études, ses réflexions l’y avaient préparé, et le souvenir de cette époque lui est toujours resté comme celui d’une émancipation intellectuelle[1]. « C’est pour cela, a-t-il dit plus tard, que je n’ai jamais eu un grand fonds d’aigreur contre la restauration. Je lui savais gré en quelque sorte de m’avoir donné les idées que j’employais contre elle. » Cette phrase, citée par Sainte-Beuve, a fort ému un écrivain dévoué à la cause royaliste; mais il a oublié de se demander pourquoi les idées apportées par la restauration avaient servi à la renverser, et qui devait être tenu pour responsable de sa chute.

M. de Rémusat n’avait pas seulement pris les devans sur les hommes politiques qui fréquentaient le salon de sa mère, il les avait dépassés par l’ardeur de son libéralisme naissant, et il ne pouvait avoir l’approbation ni des royalistes, ni des fonctionnaires impériaux qu’il y rencontrait. Pour ne pas heurter trop fortement des opinions différentes des siennes, il prenait l’habitude de modérer son ton, de comprimer sa vivacité naturelle et de suppléer par de fines railleries à la force des démonstrations. Déjà pourtant on pouvait remarquer en lui une grande répugnance pour les demi-partis et pour les lâches concessions, et quand, dans le monde où il

  1. Derniers Portraits, par Sainte-Beuve. — M. de Rémusat.