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de l’époque, Garrison, qui venait de fonder une maison de banque à San-Francisco. Garrison envoya son protégé diriger une de ses succursales dans l’isthme de Panama; en 1855, il le rappela près de lui et l’intéressa dans toutes ses opérations. En 1864, Ralston, désireux de voler de ses propres ailes, fondait pour son compte la Banque de Californie. Depuis cette époque, aucune mine, aucune voie ferrée, aucune entreprise industrielle ne s’était ouverte ou fondée sur la côte du Pacifique que cet homme n’y ait eu une part. Nous l’avons vu dans tout l’éclat de son triomphe, plus entouré, plus sollicité qu’un ministre. Sa fortune était évaluée à 100 millions de francs, sa maison de campagne citée comme la plus somptueuse de Californie. Il y avait réuni jusqu’à cent convives à table, et pouvait y abriter une vingtaine de ses hôtes dans une série d’appartemens royalement meublés. Ce financier ne se posait pas en Mécène, comme ceux du siècle dernier en France, mais il faisait des sénateurs : à coups de dollars, il envoyait les électeurs voter pour eux. Les mineurs du Nevada ne marchaient que sur un signe de lui. Récemment il jetait la première pierre et prenait à sa charge la moitié des frais de construction du Palace Hôtel de San-Francisco, cet hôtel palais, qui coûtera, dit-on, 35 millions de francs, pourra donner asile à 1,500 personnes à la fois, et dépassera en grandeur, en confort et en magnificence les hôtels américains les plus renommés de l’Atlantique au Pacifique.

On n’est pas impunément le roi de San-Francisco. Ralston avait un rival, Mackay, parti de très bas comme lui, et qui était, il y a quelques années encore, ouvrier mineur dans le Nevada. Aujourd’hui, c’est l’homme le plus riche de toute la Californie, et sa fortune est évaluée à 75 millions de dollars. Il est un des directeurs de la fameuse mine Consolidated-Virginia et l’un des plus forts actionnaires de California et d’Ophir, dont on connaît l’incroyable richesse. Toutes les trois forment ensemble ce qu’on appelle sur la place de San-Francisco les big bonanzas, les gros filons. D’autres mines très importantes du Nevada, entre autres Savage et Caledonia, comptent aussi Mackay parmi leurs intéressés, et il a récemment fondé à San-Francisco, pour combattre l’influence toujours plus prépondérante de Ralston, la bank of Nevada. Deux de ses associés sont d’origine aussi humble que lui, O’Brien et Flood, qui ont débuté par être garçons de buvette, puis patrons buvetiers à San-Francisco. Ces vendeurs de brandy, à force de verser rasade aux spéculateurs qui opéraient devant leur comptoir, ont spéculé à leur tour sur les actions de mines, y ont gagné quelques centaines de mille francs, et avec cela ont acheté des pieds de filon, comme on dit en Nevada, parce que chaque action ne représente qu’un pied