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du filon qu’il trouve, misérable la veille, il est millionnaire le lendemain. Qui n’a entendu parler de quelques-unes des rencontres incroyables qui ont été faites dans les premiers temps sur les placers aurifères? Dans les mines de quartz de Californie, j’ai cité la chance inouïe des trois pauvres Irlandais d’Allison Ranch. On en pourrait rappeler vingt autres dont quelques-unes ont échu à des Français. Ces fortunes quelquefois s’écroulent comme elles sont venues, instantanément. C’est un tableau des Mille et une Nuits. La tête se trouble, les folies commencent, la ruine vient. Au Chili, les frères Bolados, pauvres âniers, découvrent une mine d’argent, en tirent 3 millions 1/2, perdent tout dans le jeu, la dissipation, l’orgie; la mine s’épuise, et ces millionnaires d’un jour n’ont plus même leurs ânes pour reprendre leur premier métier! Que de frères Bolados on pourrait citer dans les mines de Californie, du Colorado, du Nevada! Et ce n’est pas seulement le cas pour les mines de métaux précieux, ce l’est aussi pour d’autres mines. Sur les gîtes d’huile minérale de Pensylvanie, celui qu’on appelait familièrement Johnny, que tout le monde acclama un jour comme le roi du pétrole et qui posséda un moment 100 millions, celui-là se vit bien vite ruiné par des folies que nul n’a égalées; lui qui donnait comme gratification à son cocher les chevaux et la voiture qui venaient de le conduire, se jugea fort heureux à la fin de trouver un emploi de portier à ce même théâtre que la veille, à Oil-City, il avait monté à ses frais.

Les grandes maisons de banque à San-Francisco, plus prudentes en cela que celles d’Europe, n’achètent guère de mines ; mais en prêtant de l’argent aux compagnies exploitantes, en leur faisant les avances nécessaires pour la continuation de leurs travaux, et ce à beaux deniers, au taux de 1 pour 100 par mois, en provoquant la hausse et la baisse sur les stocks ou actions minières qu’elles accaparent, elles drainent peu à peu dans leur caisse tout l’argent extrait des filons. Ces fortunes princières, comme celles des mineurs, s’en vont souvent au premier souffle. La Bank of California, qui a fait récemment une formidable faillite dont le retentissement est arrivé jusqu’en Europe, opérait surtout de la façon qui vient d’être dite. A la tête de cette banque était le fameux Ralston, qui est mort subitement à la suite de sa déconfiture, le 29 août dernier, en prenant un bain de mer, si bien que l’on a pensé un moment qu’il avait dû se suicider. L’existence de ce manieur d’argent, qui était à peine âgé de quarante-neuf ans, avait été au début pleine d’aventures comme celle de tant d’Américains. Né dans l’Ohio, il avait commencé par être homme de peine à bord d’un steamer du Mississipi. A l’âge de vingt-quatre ans, il attira par sa bonne mine, son intelligence, son énergie, l’attention d’un des plus grands financiers