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qui lui échappent, il est bien certain que Mme Geoffrin est un peu gonflée... Elle se considère tout à fait comme élevée en dignité, elle se croit presque une ambassadrice privilégiée du nouveau roi à Paris, et sur ce point elle n’entend pas raillerie; elle est naïvement plaisante avec ses susceptibilités et ses exigences. A travers tout cependant la raison et l’esprit ne perdent pas leurs droits chez elle, et chemin faisant, en femme avisée qu’elle est, elle ne manque pas de mêler les conseils fins et justes aux protestations les plus vives. Elle met son roi en garde contre les engouemens trop faciles, contre les flatteries. Au besoin, en lui envoyant un buste d’Henri IV, elle ajoutera : « Je dirai en passant qu’il était économe. » Elle en est à la lune de miel de cette royauté naissante qu’elle prend fort au sérieux; elle voudrait voir son prince marié dignement, honorablement, et lorsque Stanislas revient trop souvent sur les souvenirs de « là-bas, » sur Catherine, elle sait très bien lui répondre : « Je crois bien que quand elle disait : « Je sens l’empire qu’a sur moi ce que j’aime, » elle le sentait dans le moment, et que c’était sincèrement qu’elle désirait la conservation de celui qui régnait sur son cœur ; mais peut-être a-t-elle fait depuis les mêmes vœux pour d’autres objets... » Sans être une Sévigné, Mme Geoffrin sait dire son mot en se peignant elle-même dans les lettres un peu diffuses qu’elle ne destinait point à coup sûr à la postérité. Et Stanislas-Auguste, lui aussi, se dévoile tout entier. Il ne manque ni d’esprit, ni de finesse, ni de bonne grâce dans cet abandon tout intime. Évidemment il a une affection réelle, sincère, sans aucune espèce d’affectation pour celle qu’il appelle « sa chère maman. » C’est à elle qu’il a songé d’abord le jour de son avènement ; c’est à elle qu’il confie ses impressions les plus secrètes, ses illusions, ses espérances, ses craintes, ses bonnes intentions. Eh! sans doute, il a les meilleures intentions, il ne demande pas mieux que de faire le bien, s’il le peut, il prend pour devise : « patience, circonspection, courage! » Arrivé à ce sommet de l’ambition, il commence peut-être à sentir les difficultés, mais il ne désespère pas de les vaincre avec un peu de bonne volonté, avec un peu de secours, et si ce n’est pas d’un grand roi, c’est au moins d’une bonne et aimable nature de se montrer sensible à ce que lui dit Mme Geoffrin. On sent que ce n’est pas là un commerce banal, qu’il y a une confiance sincère et sérieuse.

Le plus beau moment de cette liaison étrange est le voyage de Varsovie. Mme Geoffrin avait soixante-sept ans quand cela lui arriva! Pendant un an, elle s’y prépare, non sans s’être assurée de l’accueil qui l’attend. Plus de six mois avant, elle écrit au roi : « Je suis dans ces momens-ci, mon cher fils, comme les petits oiseaux qui s’essaient