Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouant piano, s’entendait bien sur les gradins les plus élevés ; la voix humaine au contraire y parvenait indistincte. Je ne crois pas que de pareilles enceintes servissent habituellement aux exercices de littérature. Si les conférences ont une place dans l’archéologie sicilienne, je la trouverais bien plutôt à Syracuse, dans ce petit édifice où l’on a vu à tort des bains, et qui peut-être s’expliquerait mieux par une sorte de gymnase littéraire.

La ville même de Taormina, conservée sans rajeunissement depuis des siècles, et à vrai dire impossible à rajeunir à cause de son site escarpé, ne doit point être négligée. Il ne faut pas, comme on le fait souvent, s’en tenir au théâtre ; il faut pénétrer dans ces rues étroites et pittoresques, où l’imprévu se rencontre à chaque pas. De superbes échappées sur la mer, des souvenirs d’histoires tragiques, de charmans détails d’architecture ogivale, vous retiendront par un charme puissant. Le chemin de fer est au pied ; en une heure, vous serez à Messine, c’est-à-dire au seuil de la Sicile, au croisement de toutes les grandes voies de la Méditerranée.

La ville éclairée de Messine et son active université ne restèrent pas en arrière des manifestations libérales qui nous avaient partout accueillis. Je connaissais Messine par les escales que j’y avais faites en allant en Orient. Déjà, comme le disent les Persans, « le corbeau de la séparation croassait au-dessus de nos têtes. » Le jeudi 16 septembre, nous serrions une dernière fois la main de tant d’hommes distingués avec lesquels nous avions contracté de si agréables habitudes de société. À quatre heures, nous étions dans le détroit, au milieu de ces petits tournans créés par les courans contraires qui produisirent dans l’antiquité les fables de Charybde et de Scylla. Il n’en faut pas trop rire : Scylla et Charybde ne font plus de victimes: mais elles sont pourtant assez fortes pour dévier sensiblement un grand bateau à vapeur qui les traverse. Nous avions perdu de vue l’Etna, et nous approchions de Stromboli, qui paraissait en un moment d’assez forte activité. Le lendemain, nous nous réveillâmes entre Capri et le cap de Sorrente. Les plans intérieurs de cette baie merveilleuse se déroulaient successivement. Le Vésuve nous parut plus beau encore que l’Etna ; à l’horizon était Ischia, le terme de notre voyage, le but cherché par nous, comme Ithaque le fut par Ulysse, à travers d’assez forts détours. Dans le port même, sans descendre à terre, nous passâmes à bord du petit bateau qui mène de Naples à Procida et à Ischia. Chiaia, Pausilippe, la Mergellina, Nisida, Pouzzoles, Baïa, le cap Misène, se déroulèrent devant nous en trois heures, dont nous eussions voulu retenir le cours.

Ischia, où je venais chercher un équivalent de Vichy et de Carlsbad, sous un ciel plus beau, est un petit paradis terrestre. Nous y