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se fait par des procédés singulièrement primitifs. De malheureux enfans, une lampe attachée au milieu du front, amènent la matière première par des escaliers ou plutôt des précipices de 200 et 300 mètres ; des ânes transportent ensuite le soufre extrait de ces minéraux. Que de forces seraient épargnées par un treuil et quelques rails ! La richesse extrême de la côte orientale de l’île, au pied de l’Etna, cette prospérité sans égale de Catane, d’Aci-Reale, de Messine, ne tient qu’à une seule cause, aux chemins de fer. Les réclamations de la Sicile sur ce point sont tout à fait fondées.

En somme, le Sicilien a de graves défauts et de précieuses qualités. Les défauts peuvent être atténués, et les qualités bien employées. Les défauts sont un amour-propre excessif, une certaine tendance à se contenter de généralités superficielles, un feu qui ne se gouverne point assez, trop peu d’horreur pour l’effusion du sang. Les qualités sont celles qui ne se remplacent pas, le cœur, l’enthousiasme, l’intelligence vive et prompte, l’instinct sûr, l’ardeur sans bornes. On me dit que, dans ce qui touche à l’éducation militaire, le Sicilien apprend en cinq jours ce que l’Italien d’autres provinces n’apprend qu’en un mois. Les chants et les croyances populaires recueillis par M. Pitre prouvent ce qu’il y a dans cette race d’esprit, de vie, de poésie. Nous autres, races du nord, devons éviter de croire que nos solides qualités suffisent à l’œuvre du progrès. À nous seuls, nous n’aurions jamais fait la civilisation. Il y faut le brillant, la désinvolture de ceux qui ne doutent de rien. Un étranger (non un Français) que l’un de nos amis consultait sur l’état moral du pays et sur les réformes urgentes : « Des réformes ? dit-il. Une seule serait efficace ; ce serait une inondation qui montât aussi haut que l’Etna, de façon que la Sicile fût débarrassée des Siciliens. » Ce sévère critique n’ajoutait pas ce qu’il pensait sans doute, savoir : que la Sicile fût repeuplée par des gens de sa nation. Erreur ; l’espèce humaine est un ensemble bien plus compliqué qu’on ne croit. Les dons les plus divers y sont nécessaires ; la race qui dit : « La civilisation, c’est mon œuvre ; l’esprit humain, c’est moi, » blasphème contre l’humanité.


III.

M. Bonghi décida qu’après l’achèvement des travaux du congrès, la commission nationale des antiquités visiterait toutes les grandes ruines de la Sicile, pour se bien rendre compte des points où il importe le plus d’exécuter le travail des fouilles. Il voulut faire partie lui-même de cette rapide expédition, et il y invita les savans