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comme de véritables bijoux semés au milieu de ce mauvais goût. La cathédrale, certaines parties du palais royal, les palais Chiaramonti et Sclafani, la Catena, la Martorana, Saint-Jean-des-Ermites, la Couba, la Ziza, sont des ouvrages qui ne ressemblent à rien de ce que l’on voit ailleurs.

Palerme en effet, en y joignant Montréal, Cefalù et, si l’on veut, Messine, bien que l’ancien caractère des monumens de cette dernière ville soit un peu effacé, forme un chapitre à part dans l’histoire de l’art. Une combinaison sans exemple hors de la Sicile s’est produite ici. Les Arabes, durant leur domination prospère dans la partie occidentale de l’île, y avaient introduit leur charmante manière de bâtir ; dans l’est cependant, la domination byzantine continuait. Quand les chefs normands firent la conquête de l’île, la population arabe continua ses habitudes, ses pratiques, ses arts. Quand les Roger et les Guillaume voulurent se bâtir des palais, des maisons de plaisance, des chapelles, des abbayes, ils eurent recours aux architectes et aux maçons arabes, qui naturellement leur firent ce qu’ils savaient faire. Les décorateurs byzantins brochèrent sur le tout. Enfin le clergé normand semble avoir exercé une influence décisive. Les conquérans normands n’avaient pas de maçons avec eux, mais ils avaient des clercs. Ceux-ci voulaient des églises conformes au style qu’ils connaissaient et imposaient plus ou moins leur plan général. L’abbaye de Montréal, la cathédrale de Cefalù, c’est Saint-Étienne de Caen revêtu de mosaïques et traité dans le détail selon les habitudes arabes et byzantines. Ainsi sous l’influence du grand, noble et conciliant esprit de cette dynastie, qui fut la maison vraiment nationale de la Sicile, se forma un art qui, à sa date (commencement du XIIe siècle), fut le premier du monde. Comme nos rois capétiens, les rois normands de Sicile furent des personnages à demi ecclésiastiques, chefs puissans d’un clergé riche et dès lors patriote. Les images du roi normand couronné directement par Jésus-Christ ou le Père éternel sont prodiguées ; sur le principal siège de chaque grande église, à droite du chœur, du côté de l’évangile, on lit en gros caractères : Sedes regis. La conquête normande eut ici son effet ordinaire, qui était de réunir, en vue d’un but commun et national, sous la main de vigoureux chefs, bientôt identifiés avec le peuple conquis, toutes les forces vives, tous les élémens du pays. En Sicile, ces élémens étaient prodigieusement divers. C’était, si j’ose le dire, une civilisation trilingue ; les inscriptions où l’on se plaisait à faire figurer l’un à côté de l’autre le grec, l’arabe et le latin[1], étaient la plus parfaite

  1. On y joignait même quelquefois l’hébreu, à cause des juifs.