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couvrons la Suisse tout entière, la moitié de l’Italie, et la France depuis le plateau de Langres jusqu’à la Méditerranée. D’un seul coup d’œil, on embrasse l’empire des neiges éternelles, les vastes glaciers scintillant au soleil et les pics superbes dominant les névés. En ce point culminant, il est facile de se rendre un compte exact de la disposition qu’affectent les Alpes. Ainsi que de Saussure, avec la grande autorité de son nom, l’a remarqué le premier, elles constituent des massifs parfaitement distincts. Qui de nous cependant n’a pas appris que les Alpes sont des chaînes de montagnes ? Cette apparence trompeuse n’est qu’un effet de perspective et disparaît dès qu’on les observe à vol d’oiseau. On reconnaît alors que, loin de former des chaînes continues, « elles sont distribuées par grandes masses ou par groupes de formes variées et bizarres, détachés les uns des autres ou qui du moins ne paraissent liés qu’accidentellement et sans aucune régularité[1]. »

Il serait doux de s’abandonner aux joies intimes que de pareils spectacles font éprouver ; mais n’est-ce pas y ajouter encore que de chercher à utiliser ces heures trop courtes au profit de la science, comme de Saussure, Bravais, Tyndall, nous en ont donné l’exemple ?


II.

Le ciel est d’une sérénité parfaite, l’air absolument calme ; le thermomètre à l’ombre marque 1 degré au-dessus de zéro, les circonstances sont donc particulièrement favorables aux expériences que je me propose de faire. M. Margottet est à son poste, tout au bas du glacier des Bossons, 4,000 mètres au-dessous de moi. Deux séries d’observations simultanées, exécutées l’une au sommet, l’autre à la base de la montagne, fourniront les élémens d’une mesure exacte de la quantité de chaleur envoyée par le soleil à la terre, car la comparaison des deux séries permettra d’évaluer à chaque moment l’absorption due à l’atmosphère.

On comprend que cette évaluation minutieuse soit indispensable : en effet, la part de radiation absorbée dépend non-seulement de l’épaisseur, mais encore de l’état physique de la couche traversée à l’instant que l’on considère. Il est même curieux de remarquer à cet égard que dans les journées où l’air nous paraît le plus limpide, où les astres brillent d’un éclat tout particulier, l’absorption est précisément la plus grande. C’est un fait aujourd’hui bien démontré que certaines substances, parfaitement transparentes à la lumière et à la chaleur lumineuse, sont au contraire opaques à la chaleur

  1. De Saussure, Voyage dans les Alpes.