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redoutable. Leurs invocations supposent une intimité qui déconcerterait aisément une foi moins sûre d’elle-même. Leur piété ne recule pas même à l’idée d’adresser des reproches motivés à ce protecteur d’Israël qui laisse si longtemps son peuple innocent en butte aux outrages et aux mauvais traitemens de ses ennemis. Ainsi, dans le psaume 44, nous trouvons une longue énumération des malheurs de tout genre qui affligent le peuple de Jahveh[1]. Il est vaincu, pillé, dispersé, vendu à vil prix, livré comme du bétail à la boucherie, la fable et la risée des autres nations. Et le psalmiste continue en s’adressant à Dieu :


« Tout cela nous est venu sans que nous t’eussions oublié, — sans que nous eussions renié ton alliance. — Notre cœur ne s’est point détourné en arrière, — nos pas ne se sont point écartés de ton sentier, — pour que tu nous aies refoulés avec les chacals, — et que tu nous aies plongés dans les ténèbres. — Si nous avions oublié le nom de notre Dieu, — étendu nos mains vers un dieu étranger!.. — C’est pour toi que nous sommes massacrés tous les jours...

« Lève-toi, pourquoi dors-tu. Seigneur? — Réveille-toi! Pourquoi caches-tu ta face? — Oublies-tu notre misère et notre oppression? »


Sous une forme beaucoup moins triviale, c’est tout à fait comme dans ce mystère du moyen âge où, pendant la crucifixion du Christ, on voyait au paradis le Père éternel dormant d’un profond sommeil, jusqu’au moment où un ange venait le tirer par sa manche bleue pour le rendre attentif aux abominations qui se perpétraient sur la terre. Cela n’empêche pas que dans le même recueil nous ne trouvions des chants où la notion de l’immensité de Dieu, de l’insignifiance de l’homme devant sa toute-puissance, et de la grande place qu’elle lui assigne néanmoins dans la création, s’exprime sous une forme si belle, si simple, si élevée, qu’elle est restée classique. Rien de plus naturel ni de plus exquis que ce psaume 8, qui ressemble au chant d’un pâtre contemplant pendant la nuit les splendeurs d’un ciel d’Orient.


« Éternel, notre Seigneur ! — Que ton nom est grand par toute la terre! — Ta magnificence s’étend par-dessus les cieux...

« Quand je vois tes cieux, l’œuvre de tes mains, — la lune et les étoiles que tu y as placées, — qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui? — Qu’est-ce que le mortel pour que tu le regardes?

« Pourtant tu as fait de lui presque un dieu. — De gloire et d’honneur

  1. Ou Jehovah; mais il convient d’adopter désormais cette forme employée aujourd’hui par tous les hébraïsans sérieux, du nom « inexprimable, » à dessein défiguré par la vieille vocalisation rabbinique, et dont Jehovah est une prononciation certainement mauvaise.