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lui-même à aucune sujétion, il s’empare au gré de son imagination de tout ce que la nature lui fournit d’analogies, de symboles de comparaisons. De là cette abondance d’images, de métaphores hardies, de prosopopées, de personnifications, qui a toujours étonné et qui charme souvent notre esprit occidental. Dans la poésie hébraïque, il y a des montagnes qui chantent, des îles qui tressaillent d’allégresse, des fleuves qui battent des mains, des narines divines qui fument de colère. Notre goût classique ne saurait toujours s’accommoder de ces audaces, devant lesquelles nos plus fougueux romantiques reculeraient eux-mêmes; mais dans l’idiome original, imprégné du parfum de l’antiquité, cette vigoureuse prise de possession de la nature visible prête un grand charme à ces accens de la lyre du vieil Orient.

On s’est demandé bien souvent, et il a fallu, il faut toujours se contenter d’une demi-réponse, quelle était la forme du vers chez les Hébreux. La versification était-elle basée, comme chez les Grecs et les Romains, sur la mesure des mots rangés d’après leur nombre de syllabes longues ou brèves? ou bien trouvait-elle, comme la nôtre, dans la rime et le nombre absolu des syllabes une compensation à ce qui lui manquait sous le rapport de la quantité prosodique? Il est permis de s’étonner que les deux questions aient pu se poser. Si l’un ou l’autre des deux systèmes est adopté par les poètes hébreux, ne doit-on pas s’en apercevoir tout de suite? La réalité est qu’on ne s’en aperçoit pas du tout, et pourtant les deux systèmes ont eu chacun ses partisans. L’historien Josèphe, qui a pris tant de peine pour faire croire à ses lecteurs grecs et latins que les Juifs étaient une nation semblable à toutes les autres, dit quelque part que les livres sacrés de son peuple sont en partie écrits en vers hexamètres et pentamètres, Jérôme a reproduit cette assertion sans vouloir ou sans savoir la vérifier, et plusieurs savans modernes se sont évertués à reconstruire, coûte que coûte, la métrique des vers hébreux. Le résultat de ces efforts pénibles a été complètement nul. Là-dessus, on s’est retourné du côté de la rime. Le fait est que dans certains cas, il est vrai très rares, par exemple dans quelques chansons populaires très courtes, on peut voir que la rime est voulue et cherchée; mais ce ne sont évidemment que des exceptions, et quand on a voulu appliquer la même règle aux grandes poésies hébraïques, on n’a réussi qu’à dépecer ces beaux textes, en dépit de tout bon sens, en lanières inégales, arbitrairement prolongées jusqu’à ce qu’on eût trouvé la rime. Avec une pareille méthode, on changerait en vers rimes ceux d’Horace ou de Pindare. Ce qui est plus positif, c’est que la poésie hébraïque a parfois aimé l’assonance, c’est-à-dire la répétition fréquente d’une