Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des goûts qui règnent encore aujourd’hui en Orient, on peut se représenter l’ancienne musique juive comme une mélopée très simple, qui nous paraîtrait monotone, facilement criarde, mais toujours claire et par conséquent favorable au chant de grandes masses. Les autorités les plus compétentes nient que l’on retrouve dans les chants actuels des synagogues un écho quelconque de cette musique perdue.

Nos cent cinquante psaumes, à une seule exception près, sont tous religieux. Quelquefois, il est vrai, la note patriotique ou guerrière prédomine; mais, outre qu’elle n’annule pas le caractère religieux des pièces où elle vibre plus fortement que les autres, il faut toujours se rappeler qu’en Israël la religion et la patrie en étaient venues à se confondre. L’exception qu’il nous faut signaler est curieuse. C’est celle du psaume 45 que le texte hébreu intitule Chant d’amour, la version grecque sur le bien-aimé, et qui est à vrai dire un chant de noces royales. Il commence d’une manière qui fait penser à un lai de barde ou de trouvère :


« Mon cœur s’émeut d’un beau discours. — Je vais dire mes vers au roi. — Ma langue sera comme le burin d’un écrivain diligent. »


Le poète vante alors la beauté de son roi, son courage, ses exploits, son équité et la faveur divine dont il est l’objet. Il célèbre aussi la magnificence de ses vêtemens et de ses salles lambrissées d’ivoire, les royales épouses qu’il compte parmi « ses bien-aimées; » mais voici la reine, sans doute la nouvelle épouse, la reine qui va se placer à la droite du roi, « parée de l’or d’Ophir. »


« Elle entre toute brillante, la princesse ; — sa robe est un tissu d’or. — Sur des tapis diaprés, on la conduit au roi. — Des vierges, ses compagnes, sont amenées à sa suite. — Elles sont amenées avec réjouissance et allégresse. — Elles entrent dans la salle du roi.

« Tes fils viendront à la place de tes pères, — tu les établiras princes par tout le pays. — Je veux célébrer ton nom d’âge en âge. — Aussi les peuples te béniront-ils à tout jamais. »


Le fait qu’il s’agit ici d’un roi dont les pères ont régné, dont les fils régneront aussi, exclut toute possibilité de rapporter un tel chant à la personne du roi David. Ce qui n’est pas moins certain, c’est que les détails de ce chant nuptial regimbent absolument contre les applications que le mysticisme juif et chrétien a voulu en faire au Messie (le roi) s’unissant à la nation sainte ou à l’église (la reine). Il est clair qu’il est question purement et simplement d’un roi quelconque, — impossible de deviner lequel[1],

  1. Ce n’est pas qu’on n’ait bien souvent essayé. On a voulu y voir David épousant la fille du roi de Ghéshour, Salomon nouvel époux de la fille d’un pharaon, Achab et la Tyrienne Jézabel, Joram et Athalle, un roi de Perse, enfin Alexandre Balas et Cléopâtre (I Macch., X). Toutes ces conjectures manquent absolument de fondement.