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la loi; mais il aurait pu reprendre l’affaire à un autre thing, s’il en avait eu le courage. — Je le sais bien, répondras-tu. » En l’entendant parler de la sorte, il te demandera si tu as donc quelque connaissance de la loi. Tu lui diras : « Là bas, dans le canton du nord, je passe pour en savoir quelque chose. Cependant j’entendrais volontiers de toi comment on pourrait reprendre le procès. — Quel procès? — Un procès comme par exemple celui-ci, qui du reste ne m’intéresse guère : comment devrait s’y prendre celui qui, je suppose, réclamerait la dot de ta femme? — Il faudrait que la formule de citation fût prononcée en ma présence, de telle sorte que je l’entendisse, et dans mon domicile légal. — Récite-la un peu, diras-tu, je la redirai après toi. » Il ne manquera pas de la réciter; toi, fais bien attention à chacun des termes. Il te dira de la répéter; répète-la, mais tout de travers, sur deux mots un seul de bon. Il se mettra à rire, sans nul soupçon contre loi, et il te montrera qu’il y avait seulement tels et tels mots justes. Rejette la faute sur tes compagnons, dont la présence te trouble ; prie-le de reprendre chaque mot en te laissant le reprendre après lui. Ainsi fera-t-il ; cette fois tu répéteras exactement; tu lui demanderas si c’est bien; il ne pourra que répondre qu’une telle citation serait parfaitement valable. Alors tu diras à haute voix, de manière que tes compagnons t’entendent : « Ainsi dénoncé-je contre toi, Hrut, le procès que ma parente Unna m’a confié. » Et puis, dès le soir venu, quand tout le monde sera endormi, vous sellerez, au lieu des chevaux maigres, les bons chevaux que vous aurez laissés au pâturage, et vous gagnerez la montagne, où vous resterez trois jours. Moi cependant je me rendrai au thing, et je t’y assisterai pour ce qu’il reste à faire. »


Gunnar remercia Nial et s’en retourna chez lui. Deux jours après, il fit ponctuellement ce que Nial lui avait conseillé. Tout réussit de point en point (la saga nous le redit en détail dans une seconde narration) comme il avait été prévu : le faux Hedin provoqua, entendit, répéta d’abord tout de travers, puis fort exactement et par-devant ses deux témoins, la formule de citation. Hrut s’aperçut trop tard qu’une ruse où il reconnut l’habileté de Nial l’avait abusé.

Il n’est pas difficile, ce semble, d’imaginer comment cette singulière page a pu être écrite. L’auteur de la saga, qui vivait beaucoup d’années après le temps qu’il expose, a recueilli la tradition du subterfuge, resté célèbre, par où l’habile Nial, comptant sur la vanité de Hrut grossièrement flattée, avait obtenu l’un de ses triomphes. En racontant à son tour cet exploit légendaire de son héros, il a, selon la coutume des chroniqueurs, étendu par un commentaire son propre récit; il a sans doute inventé, du moins quant au détail, la première des deux scènes, c’est-à-dire les conseils donnés par Nial à Gunnar. Il y a d’autant moins lieu de s’étonner des