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aux quidr islandais, il faut les distinguer des domar ou juges: mais probablement l’une et l’autre fonction laissent deviner le berceau obscur d’une grande et noble institution, celle du jury. Les quidr comme on l’a vu par le récit de la saga, sont désignés à l’avance par chaque partie entre les voisins du lieu où le crime s’est commis pour venir au tribunal dire si l’accusé est ou non coupable. S’ils sont unanimes, le tribunal est tenu de se conformer à leur avis. Les juges ne sont pas des magistrats au sens moderne du mot; ils sont désignés entre les habitans du district par le magistrat civil, qui représente la société. Ils n’ont pas plus que les quidr fait une étude spéciale de la loi : c’est au magistrat qui préside à diriger les débats, c’est aux légistes experts que l’on consulte à connaître la loi, à suggérer les moyens de droit et les ressources légales. Le jugement des domar est souverain, quel qu’ait été l’avis des quidr. Ceux-ci formaient un jury d’examen; les premiers forment un jury de jugement. Dans le passage de ces élémens encore informes à l’institution propre du jury, les quidr seront descendus au rôle de témoins, les domar seront devenus les vrais jurés; les légistes, réunis au président du tribunal, se seront transformés en magistrats; quant aux témoins eux-mêmes, ils auront été, quand l’usage de l’écriture se sera répandu, remplacés par les actes publics, dont jadis leurs simples attestations tenaient lieu.

On sait l’importance des formules dans la constitution du droit primitif, quand la parole doit jouer le rôle de l’écriture. Par une sorte de superstition ou de convention facilement d’accord avec l’humeur processive et l’esprit d’éristique, ces formules doivent être répétées suivant les circonstances, sans que la mémoire en défaut y modifie un seul terme ; la formule exactement et à propos introduite par-devant témoins porte sur-le-champ son effet légal, tandis que le moindre manquement devient un motif de nullité. La saga de Nial contient à ce sujet de très intéressantes pages; en voici une assez caractéristique pour mériter d’être citée.

Gunnar avait une parente, Unna, fille de Mœrd, qui avait épousé Hrut; mais Hrut, pendant ses voyages, avait été charmé par une femme étrangère. Unna, délaissée, quitta secrètement la maison de son mari et retourna chez son père, par qui elle fit réclamer ses biens. Comme il n’y avait pas eu divorce, Hrut se contenta d’offrir le duel, que le vieux père ne put accepter. Unna vint donc prier son parent Gunnar de se charger de cette poursuite; mais il fallait que la formule de citation fut prononcée dans toute son intégrité et de. son propre aveu en présence de la partie adverse, et qu’il fût constaté par témoins qu’elle l’avait entendue. Gunnar alla consulter son ami Nial.