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désigné pour recevoir jadis le président et les principaux membres de l’assemblée générale. On croit reconnaître encore aujourd’hui la petite élévation sur laquelle siégeait le premier magistrat ; les habitans, venus à cheval et dispersés la nuit sous les tentes, se rangeaient en cercle dans le reste de la plaine, autour de ce lögberg ou rocher de la loi. Nous avons dit que dans l’assemblée publique, présidée par son chef élu, se résumait tout le pouvoir politique, judiciaire, civil et religieux ; aussi tout porte à croire qu’un temple était voisin du rocher de la loi, et aussi un lieu de supplice : la tradition veut qu’on précipitât certains condamnés dans les eaux voisines; une petite île formée par la rivière, affluent du lac, servait aux épreuves du duel. Toute session de l’Althing était, dans ce pays de rares et difficiles communications, le signal d’un solennel rendez-vous; on y venait principalement de tout le sud et de tout l’ouest pour y traiter d’affaires, vider les procès, passer les contrats, conclure les mariages ou les ligues, faire des achats ou des ventes, écouter le voyageur, négociant ou pirate, revenu d’un lointain rivage; telle était l’importance de l’Althing, tel était le grand rôle auquel servait alors, donnant asile à des institutions destinées à se répandre dans le reste de l’Europe, ce rocher de la loi, cette plaine de Thingvalla, située à quelques heures seulement vers l’est de Reikiavik, et qui conserve encore, avec les traits parliculiers que lui a imprimés la nature, le souvenir d’une intéressante civilisation.

Le Gragas est un recueil administratif en même temps que judiciaire, puisqu’on y trouve par exemple les règlemens de l’Althing servant d’assemblée politique aussi bien que ceux de l’Althing considéré comme tribunal suprême; toutefois le caractère et l’aspect du livre sont surtout juridiques. On en peut presque dire autant de la saga de Nial elle-même, récit biographique, il est vrai, mais où les scènes de procès et de débats de toute sorte devant les tribunaux sont multiples. Cela s’explique aisément. Dans une société encore primitive, encore barbare, mais destinée par ses aptitudes et ses instincts à sortir de la barbarie, on comprend que la justice occupe une place principale, et d’abord peut-être excessive. En effet la justice comprend et absorbe alors le pouvoir politique, en ce sens qu’elle se confond avec lui et qu’il se manifeste surtout par elle, celui-là étant vraiment le chef suprême qui a la puissance de châtier et de punir. Il n’en saurait aller autrement chez un peuple violent, mais énergique, et assez intelligent pour avoir, avec une confuse conscience de sa rudesse, un confus désir de gouvernement et de bon ordre. On achèvera d’expliquer l’aspect tout juridique des livres qui nous retracent le tableau de cette société, si l’on se rappelle en outre l’esprit formaliste et processif de la race scandinave, particulièrement du peuple islandais, trait caractéristique,