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l’autre versatile, caustique, n’appartenant qu’à lui-même, fidèle au succès et destiné à mourir en plein empire comme il avait vécu en pleine monarchie de juillet, sous la robe de procureur-général. Un des traits de M. Barrot, c’est d’avoir été toujours déçu dans ses espérances de libéral comme dans son rôle de conservateur, en restant persuadé qu’il ne s’est jamais trompé. Évidemment, si tout a si mal tourné, c’est qu’on ne l’a pas écouté, c’est la faute de tout le monde, seul il a eu raison ! Même à l’heure où il écrit ses Mémoires, il garde une imperturbable sérénité de confiance en lui-même, faisant assez naïvement la confession des autres, prenant d’assez vives libertés de critique à l’égard du roi Louis-Philippe et de M. Guizot, plus dur encore pour le gouvernement provisoire, et en fin de compte la meilleure garantie de sa sincérité dans son opposition avant février, c’est la netteté de son attitude conservatrice après février. C’est un vaincu qui s’efforce de sauver la société française après avoir vu périr la royauté constitutionnelle. Aujourd’hui on ne sait ce qui doit étonner le plus de voir les ministres de là monarchie de juillet traiter M. Odilon Barrot en ennemi, ou de voir M. Odilon Barrot se laisser aller jusqu’à préparer par l’agitation des banquets la crise suprême de cette monarchie à laquelle il était sincèrement attaché. Exemple également instructif pour ceux qui cherchent des ennemis partout, et pour ceux qui préparent la ruine de ce qu’ils voudraient conserver !

Cette triste révolution de 1848, M. Odilon Barrot la raconte dans ses Mémoires en homme surpris et brusquement réveillé de ses rêves confians d’opposition libérale, jeté tout à coup assez désagréablement en face d’une maussade réalité. Il la traite avec la dureté d’un esprit déçu, presque irrité. Lorsqu’un peu plus tard, M. Ledru-Rollin, par une représaille d’ironie sanglante, représentait l’ancien orateur de l’opposition dynastique, devenu un des chefs de la réaction dans l’assemblée constituante, comme un homme de négation, ayant travaillé à son insu, aveuglément, à la chute de la monarchie et à l’avènement de la république, il avait beau jeu. M. Odilon Barrot à son tour a des occasions de facile vengeance dans ses Mémoires ; il n’a qu’à tracer le portrait de M. Ledru-Rollin lui-même et de M. Louis Blanc, et de tous ceux qu’il a combattus courageusement avant de raconter leur histoire. En réalité, cette révolution de février que Lamartine a vainement décorée de son éloquence et de sa gloire, cette révolution a été, même pour des républicains sérieux et réfléchis, un des événemens les plus désastreux et les plus inutiles.

On peut dire encore aujourd’hui ce qu’on voudra de la révolution de 1830 et de son opportunité ; mais du moins elle était une résistance légitime, elle avait sa raison d’être et sa moralité dans la suppression dictatoriale des lois, dans une sorte de déclaration de guerre de la royauté, elle était une revendication légale et constitutionnelle dont le change-