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Cette façon d’agir était régulière ; personne, à part quelques esprits turbulens, ne la désapprouverait aujourd’hui. Cependant Wilkes ne fut pas de cet avis, car, ayant reçu copie dès ordres donnés par le secrétaire d’état, lord Weymouth, en prévision des troubles de cette journée, il l’envoya à un journal de Londres avec une lettre dans laquelle il accusait ce ministre d’avoir nourri contre le peuple des projets diaboliques d’assassinat. C’était rallumer la guerre. Peut-être le gouvernement ne demandait-il pas mieux que de ne plus s’occuper de Wilkes ; mais il ne pouvait se dispenser de répondre à cette lettre, en sorte que l’auteur en fût puni. Lord Barrington, ministre de la guerre, vint proposer à la chambre des communes l’expulsion du pamphlétaire. Pour la seconde fois en effet, après un long débat, Wilkes fut déclaré indigne de siéger. La punition n’était pas proportionnée à la faute ; ceux qui l’avaient votée ne tardèrent pas à s’en repentir.

Moins de quinze jours après, les électeurs du Middlesex réélurent Wilkes sans opposition. Était-il rééligible ? Le cas était douteux, Le savant docteur Blackstone, commentateur de la constitution anglaise, n’avait jamais compris l’expulsion au nombre des causes d’indignité. Blackstone, qui vivait alors et même était député, ne craignit point de voter pour le gouvernement et de se donner à lui-même une sorte de démenti. Charles Fox, qui venait d’entrer au parlement avant d’avoir atteint sa vingt et unième année, infidèle aux idées libérales dont il s’inspira plus tard, Charles Fox parla contre Wilkes avec éloquence. Il subissait alors l’influence de son père, lord Holland, qui ne pouvait pardonner à Wilkes les attaques dirigées contre le cabinet de lord Bute, dont il avait fait partie. L’élection fut annulée ; bien entendu, les électeurs persistèrent aussi dans leur choix. Cette fois il y avait un autre candidat, le colonel Luttrell, qui eut un petit nombre de suffrages. La chambre décida que ce Luttrell, bien qu’il n’eût eu qu’un cinquième des suffrages, était valablement élu. Il serait difficile de découvrir un autre exemple d’une si singulière décision, même dans les pays où le droit des électeurs est le moins en honneur. « Ainsi finit, s’écria Burke, une tragi-comédie jouée par les serviteurs de sa majesté au bénéfice de M. Wilkes et aux dépens de la constitution. » Les amis du roi ne pouvaient certes imaginer un moyen plus ingénieux de rendre populaire l’homme qu’ils détestaient le plus.


II

Notez que l’infortuné George III, imbu des idées despotiques que l’on sait, n’avait eu jusqu’alors, en dix ans de règne, que des