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en toutes langues ; il y en avait non-seulement en latin et en grec, mais encore en hébreu, en arabe, voire en phénicien et en étrusque. De toute cette littérature d’occasion, on aurait pu dire sans doute ce qu’un courtisan discret avait répondu un jour à ce même prince Frédéric qui lui montrait un poème de sa composition : « Ces vers sont dignes de votre altesse royale. » Le prince de Galles laissait plusieurs enfans qui grandirent sous la tutelle de la princesse douairière, femme égoïste et d’un esprit étroit, imbue des idées répandues alors dans les petites cours de l’Allemagne, son pays natal. Elle éleva ses fils sans vouloir cultiver leur esprit ni développer leur intelligence, parce qu’elle redoutait pour eux la corruption du monde. Elle ne leur apprit ni leur laissa apprendre ce qu’était la constitution du pays où ils tenaient la première place, parce que le pouvoir absolu était à ses yeux l’attribut essentiel de l’autorité souveraine. A onze ans, George III ne savait pas encore lire ; son grand-père, vieillard grossier et licencieux, lui faisait peur ; c’était un singulier apprentissage, on en conviendra, pour l’héritier du trône.

A la mort de George II, la Grande-Bretagne était aussi puissante qu’elle le fut jamais. Alliée du roi de Prusse, elle soutenait la guerre avec succès dans les deux mondes contre la France, la Russie et l’Autriche. C’était à Pitt, alors premier ministre, que la nation attribuait cette prospérité. A l’intérieur, les jacobites, découragés depuis l’échec de Culloden, ne remuaient plus. Les whigs, auxquels le pouvoir appartenait depuis longtemps, ne rencontraient même pas dans le parlement de concurrens sérieux, car les tories, à force de se tenir en dehors des affaires publiques, n’avaient plus de chefs influens ou habitués aux affaires. Sauf à Londres, on ne pouvait dire qu’il y eût une opinion publique dont les volontés ou les caprices pussent diriger les actes du ministère. Le gouvernement, transformé en une véritable oligarchie, passait tour à tour de l’une à l’autre des quelques familles influentes qui dominaient le parlement. En vérité, les grands seigneurs qui avaient fait la révolution de 1688 pour anéantir la prérogative royale, et qui plus tard avaient été chercher dans le Hanovre une dynastie complaisante pour consolider leurs conquêtes politiques, ces grands seigneurs avaient bien réussi ; ils étaient les maîtres de leur pays, qui ne s’en plaignait pas.

Soit par instinct, soit sur le conseil de sa mère, George III comprit que, pour reconquérir le pouvoir personnel dont ses prédécesseurs avaient été privés, le plus pressé était de terminer la guerre et d’écarter des affaires les ministres de son aïeul. Loin d’être disposé à conclure la paix, Pitt voulait au contraire commencer les