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il se construit avec les parfums les plus précieux, la myrrhe, le baume, le cinname, ce qui doit être à la fois sa tombe et son berceau. Il se place sur ce bûcher odorant qu’enflamme un rayon de soleil, et de ses dépouilles consumées renaît un phénix nouveau, semblable à l’ancien, mais plus, beau et plus brillant de jeunesse ; à peine né, il s’élance dans le ciel, et tous les oiseaux lui font cortège, comme à leur roi, lorsque prenant son vol il s’en retourne vers la forêt sacrée. Lactance termine son récit en félicitant le phénix de sa destinée : « Il est heureux, dit-il, il ne connaît pas l’hymen. C’est la mort qui est l’hymen. pour lui, la mort qui lui tient lieu des plaisirs impurs de l’amour. Pour pouvoir renaître, il souhaite de mourir, et c’est à la mort qu’il doit le bienfait d’une éternelle vie. » Dans ce passage, le chrétien se laisse voir, mais partout ailleurs il semble qu’il ait tenu à se cacher. On peut dire que rien ou presque rien ne l’y trahit : cette pensée même, que de la mort doit sortir la vie, n’appartient pas uniquement au christianisme ; les néoplatoniciens la développaient avec complaisance dans leurs ouvrages, et on la retrouve exprimée dans les inscriptions et les fresques d’une catacombe mithriaque. Lactance, il faut l’avouer, ne l’a pas présentée de telle manière qu’on reconnaisse du premier coup en le lisant quelle religion l’inspirait. Des doutes ont pu s’élever sur le culte auquel appartenait l’auteur de ce petit ouvrage. La recherche des pensées et l’élégance des vers indiquent un imitateur des anciens poètes ; les allusions qui sont faites aux divinités de la fable et aux légendes de la mythologie pourraient nous laisser croire que nous avons affaire à quelque adorateur des dieux antiques. C’est un chrétien pourtant, mais un chrétien si rempli des souvenirs du passé, si charmé de l’ancienne littérature, et qui en imite si fidèlement les formes, que ses opinions personnelles s’effacent quelquefois sous ces imitations et ces souvenirs. N’est-il pas étrange que, bien que croyant sincère, il ne soit pas arrivé, dans un sujet qui touche à la religion, à affirmer plus nettement sa foi ?

Ainsi les violences de Tertullien ont été inutiles ; l’alliance s’est faite malgré lui entre l’église et l’art antique. Au commencement du IVe siècle, au moment où le christianisme monte sur le trône des césars avec Constantin, il paraît céder au charme de ce vieux monde, dont il va prendre la direction. Peut-être même y cède-t-il un peu trop au début. La prose et la poésie ne semblent pas d’abord se soucier assez de rester chrétiennes. Il y a trop de Cicéron dans Lactance, trop de Virgile dans Juvencus ; mais cet excès fut vite corrigé. Ce fut le rôle du grand siècle de Théodose de trouver en tout la mesure et de faire à chacun des élémens sa part. L’originalité du grand poète de ce temps, de Prudence, est d’être à la fois