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précédée. Il aurait pu, ajoutant à sa boutade, l’appeler une révolution littéraire jusqu’au bout, puisque cette catastrophe de février n’a été que la préparation d’un empire d’avance réhabilité, moralement ressuscité par la poésie, par Béranger aussi bien que par Victor Hugo, par toute une légion d’écrivains. Littérature ! je n’en disconviens pas. Un jour Lamartine disait à l’auteur des Souvenirs du peuple en lui montrant l’empire avec ses fanfares : « Voilà une chanson de Béranger qui passe ! » Béranger aurait pu dire à Lamartine au lendemain de février : « Voilà l’Histoire des Girondins qui passe ! » Et tout ne finit pas malheureusement par des chansons ou par un bon mort.

Au fond, littérairement, cette révolution de 1848 n’a d’autre effet sensible que de rallier un moment les intelligences autour de la civilisation mise à mal, de provoquer une certaine réaction de l’esprit menacé non-seulement par les déchaînemens de la rue, mais par les doctrines d’une démocratie qui appelle la littérature « le rebut de l’industrie intelligente. » Ce qu’on appelle la décadence de l’art, s’écrie Proudhon enivré de sophismes, n’est que « le progrès de la raison virile importunée plutôt que réjouie de ces difficiles bagatelles… Travailler et manger, c’est, n’en déplaise aux écrivains artistes, la seule fin apparente de l’homme ; le reste n’est qu’allée et venue de gens qui cherchent de l’occupation ou qui, demandent du pain. Pour remplir cet humble programme, le profane vulgaire a dépensé plus de génie que les philosophes, les savans et les poètes n’en ont mis à composer leurs chefs-d’œuvre… »

Voilà qui est relever l’idéal de la démocratie et servir la grandeur nationale, cette grandeur toujours, incomplète, même lorsqu’elle a la gloire des armes ou de la politique, si l’éclat des lettres lui manque ! Non, cette révolution de 1848 n’est point une période de fécondation ou de transformation intellectuelle, c’est une transition orageuse où les traditions littéraires, la raison, l’imagination, deviennent ce qu’elles peuvent et se sauvent par leur propre vitalité dans ce bruit de polémiques violentes, d’agitations faméliques, de systèmes destructeurs et de conflits toujours menaçans, dans ce monde rassasié de déclamations et affamé de paix qui est prêt à tout subir pour retrouver une illusion d’ordre. Le fait est que, par elle-même, la révolution de février n’a rien produit d’original, si ce n’est peut-être ce facétieux pourfendeur de l’art et du goût qui veut en finir avec les superfluités dangereuses de la civilisation, et dont la correspondance révèle aujourd’hui l’humeur incohérente.

Dernière étape enfin de cette littérature contemporaine qui compte déjà plusieurs générations, qui passe à travers le siècle comme une image des ambitions et des déceptions de l’esprit