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façon, il semblait faire rentrer la religion nouvelle dans le cadre des philosophies antiques ; elle n’était plus, pour ainsi dire, qu’une dernière secte qui corrigeait ou complétait les autres. Le païen qui l’embrassait n’avait rien à désapprendre, et l’enseignement nouveau devenait pour lui le couronnement des études qu’il avait faites dans sa jeunesse. En même temps Lactance est fort occupé de bien écrire ; c’est un disciple de Cicéron qui veut faire honneur à son maître. Du reste ce souci du style était général dans l’église depuis le milieu du IIIe siècle. Nous avons une lettre adressée par les clercs de Rome à saint Cyprien : la forme en est remarquablement soignée, et nous y trouvons déjà cette élégance et cette harmonie qui ont été jusqu’ici une tradition dans la chancellerie romaine.

Il était naturel que la poésie, qui est plus particulièrement faite pour le plaisir des délicats, fût encore moins difficile que l’éloquence. Les poètes se livrèrent donc, comme les orateurs, sans scrupule et sans réserve à l’imitation des vieux modèles ; plus qu’eux encore, ils essayèrent de trouver dans l’art antique une expression pour les idées nouvelles. Le Phénix de Lactance est le plus ancien poème chrétien que nous ayons conservé après ceux de Commodien[1]. C’est un petit ouvrage qui n’aurait qu’assez peu d’importance, s’il ne nous indiquait quel chemin on avait fait en un demi-siècle. Les vers du « mendiant du Christ » sont d’un barbare, ceux de Lactance d’un élève fidèle des poètes classiques. Il a suivi l’exemple que lui donnaient les sculpteurs et les peintres de son temps ; comme eux, il a choisi parmi les fables antiques celle qui pouvait le plus aisément s’accommoder aux croyances chrétiennes. Cette légende du phénix qui renaît de ses cendres, après avoir été probablement à l’origine un mythe astronomique, une allégorie du temps qui ne finit pas, de l’année qui recommence aussitôt que sa course est achevée, devint plus tard, comme les autres mythes, une de ces charmantes histoires que les poètes aimaient à mettre en vers et dont s’amusaient les curieux : Ovide la raconte sans y attacher plus d’importance qu’à la métamorphose de Daphné en laurier ou de Biblis en fontaine. Les chrétiens y virent une image de l’âme humaine qui survit à la mort, et pour qui la mort est un rajeunissement et une renaissance. C’est la leçon que Lactance veut tirer de cette histoire. Il représente le phénix quand il touche au terme de sa longue vie, quittant la forêt qui lui sert de demeure ; de l’extrême Orient, il arrive dans le pays « où il doit périr pour renaître. » Là

  1. Je n’hésite pas à croire, avec M. Ebert, que le Phénix est bien de Lactance. Les manuscrits le lui attribuent. Grégoire de Tours l’en reconnaît l’auteur. Nous savons de plus que Lactance aimait la poésie, et il nous dit lui-même qu’il avait composé d’autres vers.