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perfide, aussi bonne à détruire qu’à édifier ; il est plein de colère contre ceux qui cherchent quelque biais pour accommoder l’ancienne philosophie avec l’Évangile, et qui arrivent ainsi à créer « un christianisme platonicien et aristotélicien. » Tous ces compromis lui sont suspects, et on peut être assuré qu’il était aussi contraire que possible aux gens qui voulaient unir de quelque façon la doctrine nouvelle avec l’art antique.


III

Cette union devait pourtant se faire en dépit de Tertullien et de ses adeptes. Des deux courans que j’ai signalés et entre lesquels se divisait la société chrétienne, c’est celui qui portait vers l’entente et la conciliation qui devait être à la fin le plus fort. L’état de l’église au IIIe siècle explique cette victoire. Les rêves des millénaires commençaient alors à se dissiper ; on se lassait d’attendre ce dernier jour qui n’arrivait pas. Tant qu’on avait cru que la fin des temps était proche et que le règne du Christ allait commencer, on n’avait guère le goût de s’attacher à la terre et d’y faire un établissement solide ; mais, puisqu’on ne pouvait pas mourir, il fallait bien songer à vivre. Or on ne vit, on ne dure, on ne devient d’ordinaire fort et puissant que par des concessions et des compromis, en s’appropriant tous les élémens de force et de durée qui se trouvent épars sur le sol où l’on s’établit.

Il fallait d’abord que le christianisme attirât à lui les classes élevées qui gouvernaient l’empire. Ses conquêtes à l’origine avaient été plus humbles, et ses adversaires lui reprochaient volontiers de ne s’adresser qu’aux ignorans et qu’aux pauvres. Dès le IIe siècle, nous le voyons occupé d’atteindre aussi la société distinguée, les gens d’école et d’académie : c’est à eux qu’il s’adresse surtout par ses apologistes ; mais pour avoir les lettrés, il ne fallait pas afficher le mépris des lettres. On ne pouvait espérer d’être écouté d’eux qu’en leur parlant une langue soignée et châtiée qui n’offensât pas leurs oreilles. Le bon goût est un maître très tyrannique, qui ne souffre pas d’insulte, et la vérité même le choque quand elle n’est pas bien présentée. Saint Augustin raconte que ce qui l’éloigna longtemps du christianisme, c’est qu’il trouvait les livres sacrés trop mal écrits. Il était bon aussi, pour plaire à ces esprits délicats élevés dans l’étude et l’admiration de Platon et d’Aristote, de montrer les rapports qu’on pouvait découvrir entre les anciennes écoles et la nouvelle doctrine. Tertullien nous dit qu’on le faisait beaucoup de son temps. Il y avait alors des théologiens, et en grand nombre,