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bouffon tout cela, si grotesque ! Et le moyen âge donc, Geneviève de Brabant par exemple, quelle drôlerie ! le monde des dieux et des héros, le romantisme, tout y passe.

Corrompre le goût, ramener à l’absurde les plus nobles conceptions, rendre classique au théâtre la vulgarité, établir à demeure le mardi gras sur la scène, ce n’est point un métier inoffensif ainsi que d’aucuns le prétendent. Je m’amuse avec Aristophane de la goinfrerie du fils d’Alcmène sans que mon admiration pour l’Hercule Farnèse en souffre grand préjudice ; autant se peut dire de la joyeuse et cordiale parodie d’ancien régime, de la gaîté d’un Cimarosa dans le Mariage secret, d’un Rossini dans le Barbier, d’un Grétry dans le Tableau parlant ou dans la Fausse Magie. Cet art-là n’a rien que de sain, il vient de Molière et nous réconforte. Telle n’est point la parodie dont le théâtre actuel est empoisonné ; celle-là ne se contente pas d’égayer un moment le public aux dépens du personnage, elle tue l’idée et avec l’idée l’homme de génie qui s’en inspira. On parle toujours de remettre Gluck à la scène, et nous verrons ce que deviendront Iphigénie et Thoas, Orphée et Eurydice développant leur grande pantomime et leur sereine majesté devant une assemblée saturée de quolibets cyniques et toute chaude encore des refrains de la Belle Hélène ! « La musique de l’avenir, tenez, la voilà ! » disait un jour Rossini montrant une partition de ce répertoire comparable à certaines plantes marécageuses, foisonnantes, inextricables, qui couvrent la surface d’un lac, et coupent à ses eaux, jadis transparentes et profondes, toute lumière venue d’en haut. L’enthousiasme, le respect des choses belles et saintes, nous les avons désappris, mais en revanche nous raillons, narguons et gambadons à merveille, et, s’il ne nous arrive plus de lever nos mains vers le ciel, nous lui montrons nos jambes en faisant la roue.

La musique de l’avenir, elle se partage en deux courans : il y a la musique de nos petits théâtres comme il y a la musique de Bayreuth, et la plus bouffonne des deux n’est peut-être pas celle que l’on suppose. Regardez du côté du Fichtelgebirg, cette petite ville où vécut l’honnête, le modeste, l’excellent Jean-Paul ; là séjourne embastillé dans son outrecuidance un homme qui se croit Dieu le père, et pour lequel ses fidèles desservans en Europe ne cessent pas de sonner la messe. Il trône en sa Walhalla parmi les géans, les nains et les walkyries, et quand il en a fini de dialoguer avec Odin, il se propose cette besogne étrange, invraisemblable même pour un dieu, de corriger Beethoven et d’amender Gluck ! Il révise, expurge, remet sur ses pieds la symphonie héroïque, substitue les cors aux bassons dans l’allegro de la cinquième symphonie, ajoute à la huitième deux trompettes, reprend en sous-œuvre l’Iphigénie en Aulide,