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état les loges destinées aux larves, à consolider les parois des greniers. Les nombreuses ouvertures qu’on remarquait au début des travaux furent closes ; trois subsistèrent assez longtemps, il n’en resta plus qu’une seule. Des graines avaient été répandues sur le gazon, les moissonneuses vinrent les prendre, et, comme à l’ordinaire, les emmagasiner dans les souterrains. On put voir comment s’y prennent les fourmis pour couper les racines qui descendent dans les galeries. Deux individus agissent de concert : l’un tire l’extrémité de la racine, l’autre ronge les fibres au niveau de la voûte ; après une suite d’efforts énergiques, l’objet est enlevé. Aussi bien en captivité qu’en liberté, il y eut, à l’extérieur du nid, l’endroit spécial où s’entassèrent les enveloppes de graines, les fragmens de racines, enfin tous les détritus dont on débarrasse une cité bien tenue.

Dans la cage de verre avait été placé un vase avec de l’eau : on vit souvent les attes noires jeter dans le bassin les individus malades ou mourans. Était-ce pour se délivrer au plus vite d’êtres désormais inutiles ou pour les guérir ? On n’ose prononcer. Toujours est-il que des malades semblaient parfois éprouver du bain l’heureuse influence. Comme ranimés par l’immersion, ils allaient se réchauffer au soleil et paraissaient bientôt avoir recouvré la vigueur des anciens jours. Au soir, les fourmis, attirées par la lumière de la lampe, sortaient de leurs retraites. En pareilles circonstances, on eut l’occasion d’assister à des repas. En général, plusieurs individus serrés les uns contre les autres attaquent la même graine ; des parcelles de la matière pulpeuse sont détachées à l’aide des mandibules et introduites dans la bouche au moyen des palpes et des mâchoires. Les naturalistes attachés à l’observation des espèces du centre ou du nord de l’Europe avaient dû mettre au rang des fables les histoires de fourmis prévoyantes ; aujourd’hui l’histoire vraiment scientifique des attes moissonneuses atteste la vérité de l’ancienne croyance et prouve une fois de plus qu’il faut toujours se défier des généralisations trop promptes.


III

Aux heures de récréation, un écolier de Morges, dans le canton de Vaud, faisait ses délices de la lecture des Recherches sur les fourmis indigènes, par Pierre Huber. Bientôt l’enfant profita de toutes les occasions pour observer. Plus tard ce fut le jeune homme qui, s’adonnant à l’investigation avec un vrai enthousiasme pour le sujet, parvint à saisir pour la première fois mille détails du plus réel intérêt. Ainsi M. Auguste Forel a complété en grande