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leurs adversaires par les antennes, les parties les plus vulnérables ; ainsi celles qui plient sous le poids d’un fardeau peuvent mal se défendre. Les récoltes achevées, cesse tout acte d’hostilité entre les fourmilières voisines ; les membres des colonies autrefois rivales se rencontrent sans plus s’inquiéter. La paix conclue, les sociétés appauvries par l’état de guerre ont le mieux possible réparé les malheurs ; les sociétés tout à fait maltraitées ont péri, des habitations où se pressait une foule de travailleurs sont maintenant vides.

Plus on pénètre dans les détails de la vie des insectes industrieux, plus on s’étonne. Dans les endroits brûlés du soleil, où se plaisent les attes noires, abondent les lézards. Très friands des fourmis ailées, c’est-à-dire des mâles et des femelles, ces reptiles n’attaquent pas les ouvrières. Celles-ci sont-elles défendues par une odeur pénétrante ou par la vapeur d’acide formique qu’elles émettent pour éloigner l’ennemi ? Le fait est probable. Par un beau soir, au temps des amours, rien n’est curieux comme d’assister au départ des mâles et des femelles. Les lézards guettent, mais les ouvrières veillent, entourant les individus ailés jusqu’à l’instant où ils peuvent s’envoler ; c’est une véritable garde du corps. Tous les actes de ces pauvres insectes dénotent une singulière justesse d’appréciation.

C’est seulement en pleine liberté que les êtres montrent toutes les aptitudes dont ils sont doués, mais un observateur ne négligera jamais d’examiner, s’il est possible, des individus captifs, afin de mieux suivre quelques traits de mœurs ou certaines particularités de l’intelligence. Moggridge voulut contempler de près les fourmis moissonneuses dont il avait si souvent épié les manœuvres au milieu des campagnes. Il emporta deux nids ; les logemens avaient été préparés : c’étaient de belles cages à parois de verre, garnies d’une épaisse couche de terre et bien approvisionnées de nourriture. Dans l’une des colonies, on ne put apercevoir ni une femelle féconde, ni des larves ; les fourmis semblaient misérables et ne cherchaient qu’à s’échapper. Elles mouraient au sein de l’abondance. Tout autre était le spectacle que présentait la seconde colonie ; il y avait une reine et des larves en grand nombre. Avec une activité surprenante, les ouvrières s’étaient mises à creuser des galeries dans la terre couverte de gazon. En moins de six heures furent pratiquées huit orifices très reconnaissables aux monticules circulaires formés des matériaux extraits des profondeurs. Au lendemain matin, l’étendue des constructions était énorme, les ouvrières avaient travaillé toute la nuit. L’observateur ne se lassait pas d’admirer de quelle façon intelligente avait été conçu le plan général de l’édifice souterrain pour l’espace dont les industrieux insectes ne pouvaient franchir les limites. Les principales dispositions arrêtées, de longs jours s’écoulèrent à crépir les murailles, à mettre en bon