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du produit de la vente de la pêche. Ce système paraît assez rémunérateur pour les intéressés. Afin d’entretenir l’émulation à bord, on accorde assez souvent en outre trois primes de 30 à 50 francs aux pêcheurs qui ont pris le plus de poisson. En somme, toutes ces combinaisons donnent à peu près les mêmes résultats, et l’on peut évaluer à 400 ou 500 francs pour un matelot les bénéfices moyens d’une campagne en Islande.

La pêche dure jusqu’à ce que le navire ait employé tout son sel. Comme il peut arriver que, dans les bonnes années, le chargement qu’il en a pris soit rapidement consommé, la plupart des armateurs expédient en Islande, vers la fin de mai, des chasseurs, c’est-à-dire des bâtimens venant tout exprès pour prendre le poisson déjà péché par les navires de leur maison, auxquels ils remettent en échange une nouvelle provision de sel. Le lieu et l’époque où ces navires doivent se rencontrer ont été préalablement fixés. C’est le plus souvent, vers le milieu de juin, dans l’une des baies de l’est ou de l’ouest. Dès que le transbordement est effectué, le chasseur repart au plus vite, car, les communications avec l’Islande étant peu fréquentes, les premières nouvelles de la pêche arrivent en France par ces navires, qui s’empressent naturellement d’annoncer que la saison est déplorable et le poisson des plus rares. Bien qu’on sache parfaitement à quoi s’en tenir sur la valeur de leurs renseignemens, on s’y laisse constamment prendre, et les morues qu’ils apportent sont toujours vendues à des conditions très avantageuses. Ainsi que je l’ai déjà dit, une campagne en Islande rapporte ordinairement aux pêcheurs un bénéfice net de 400 à 500 francs ; comme le départ de France a lieu en février et que la pêche est terminée dès la fin de la première quinzaine d’août, c’est une moyenne de bénéfices, souvent dépassée, de 80 à 100 francs par mois.

Or les salaires du long cours et du cabotage atteignent à peine 60 francs ; au point de vue de la rémunération, la situation est donc sensiblement meilleure pour les pêcheurs d’Islande, d’autant plus qu’en fait ils n’ont pas à craindre de chômage au retour, puisqu’ils peuvent alors ou naviguer au cabotage et à la pêche côtière ou reprendre les travaux agricoles ; mais au prix de quelles fatigues et de quels dangers cet avantage pécuniaire n’est-il pas acheté ! La fréquence des ouragans sur la côte islandaise, la rigueur du climat, les glaces flottantes, les brumes qui cachent au marin le récif sur lequel court son navire, les courans qui l’égarent, tels sont les périls qu’il faut affronter chaque jour. Quant aux fatigues, il n’est pas de profession dont l’exercice en comporte de pareilles, et, pour le faire comprendre, il suffira d’expliquer en quelques mots la façon dont se fait la pêche.